Temoignage

 

Entre Science et Bible, mon cheminement1

 

 

Par Charles Leroux

 

 

Je travaille au Commissariat à l’Énergie atomique où j’encadre des recherches en microélectronique et c’est en tant que scientifique chrétien que l’on m’a demandé d’apporter mon témoignage. J’ai redécouvert la foi chrétienne et l’actualité de l’appel de Jésus-Christ à le suivre2 au cours de mon doctorat.

 

La physique est depuis longtemps un domaine qui me passionne à cause de sa capacité à rendre compte des phénomènes physiques, tout en montrant l’unité des lois de la nature derrière la multitude des manifestations que nous connaissons. Depuis ma conversion, un Psaume me parle particulièrement à ce sujet, le Psaume 19. Il exalte la révélation de Dieu, tout d’abord dans ses oeuvres (v.1- 7), puis de manière plus explicite dans sa loi (v.8-15).

 

Depuis ma conversion, les deux domaines de la physique et de l’étude des Écritures sont pour moi autant d’occasions pour mieux connaître Dieu, même si les Écritures ont la primauté. Vient alors la question de la lecture des premiers chapitres de la Bible en tant que croyant scientifique. Des textes dont on a souvent dit qu’ils sont dépassés par le discours scientifique.

 

Durant les premières années qui suivirent ma conversion, j’ai adopté une interprétation littérale de ces premiers chapitres, car c’est la lecture qui me paraissait alors la plus fidèle. En lisant à cette époque certains livres néo-créationnistes3, j’appréciais aussi d’y voir une certaine contestation du discours scientifique moderne, parfois un peu trop suffisant.

 

Depuis, dans cet effort d’une lecture parallèle des deux tables de la révélation, pour reprendre la structure du Psaume 19, j’en suis venu à une position différente : à la fois créationniste et évolutionniste.

 

Mais avant d’aller plus loin dans l’exposé de cette position, j’aimerais faire une parenthèse sur la notion de vérité en science. Mes impressions sont plus basées sur un vécu au laboratoire que sur des connaissances en philosophie des sciences. D’une part, parce qu’elle est soumise à l’expérience et à l’observation, la science se met nécessairement à l’écoute de la création, elle peut ainsi apparaître comme un effort pour se mettre à l’écoute de la gloire de Dieu manifestée dans sa création (Pr 25.2), et force est de constater un progrès en la matière depuis la Renaissance. D’autre part, il faut constater que la science est conduite par des hommes pécheurs dont les motivations ne sont pas nécessairement la recherche du vrai, mais aussi bien d’autres motivations moins avouables : la reconnaissance personnelle, la soif de pouvoir, l’appât du gain. Au fil des années, on voit un certain progrès de la science. Mais au jour le jour, les laboratoires sont aussi le théâtre d’enjeux politiques, et pas seulement d’enquêtes impartiales. On peut parfois se demander si la science ne progresse pas en dépit des scientifiques, à cause d’une certaine grâce commune. Enfin, dernière remarque, la science ne nous donne pas accès à la vérité des choses, elle reste à leur surface.

 

 

Prenons l’exemple de la théorie du Big Bang pour illustrer notre propos. Cette théorie qui fut à l’origine proposée par un scientifique jésuite belge, Georges Lemaitre, a longtemps rencontré une grande réticence à cause de sa trop forte parenté avec l’idée de création. Elle s’est finalement imposée à la communauté scientifique à cause de faits expérimentaux qui l’appuyaient (entre autres le rayonnement fossile découvert par Penzias et Wilson, prix Nobel de Physique 1978, et le décalage vers le rouge du spectre des étoiles les plus lointaines, signe de l’expansion de l’univers).

 

Mais cette théorie ne peut pas non plus, dans sa quête des origines, remonter à un temps 0. Elle est limitée au temps de Plank 10-43seconde (42 zéros après la virgule et avant le 1), certains diront moins que rien !

 

On voit donc que cette théorie s’est plutôt imposée par des évidences expérimentales, et qu’elle connaît aussi ses limites, n’accédant pas à l’origine de l’univers, mais à ses débuts. Cette théorie comporte toujours un côté désagréable pour des athées professants et on voit pas mal d’efforts de certains pour penser un avant Big Bang !

 

 

Aujourd’hui, il me semble que les scientifiques arrivent par des voies différentes (astrophysique, géologie, biologie…) à un certain consensus pour comprendre notre univers, et le monde tel que nous le connaissons, comme le fruit d’une lente évolution à partir d’une explosion initiale, il y a environ 15 milliards d’années. Toutefois, une telle compréhension ne dit rien en soi sur le pourquoi du monde : création de Dieu ou existant de par lui-même. Je partage juste un sentiment de croyant : 15 milliards d’années me paraissent un peu rapide pour un monde qui se serait fait tout seul pour aboutir à ce que nous connaissons aujourd’hui de complexité, en particulier sur notre terre.

 

 

Reconnaître le monde comme créé par Dieu est avant tout une certitude qui me vient des Écritures et en particulier des premiers chapitres de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre… » Qu’en est-il alors des 6 jours du chapitre 1 de la Genèse ? Faut-il voir dans ce texte l’intention de l’auteur, sans doute Moïse, reprenant une tradition qui remonte certainement à Abraham, de nous donner une description scientifique avant l’heure de l’origine du monde, avec des jours de 24 heures ? Il me semble qu’il y a là un anachronisme de notre part. Un récit sur les origines s’entend aujourd’hui comme une description chronologique du déroulement des événements. Mais à l’époque d’Abraham, si on se fie aux nombreux mythes de l’Orient ancien, un récit sur les origines était avant tout un récit sur le pourquoi du monde et de l’homme. Or la révélation a d’abord été adressée à ces hommes du Moyen-Orient ancien dans un langage qu’ils pouvaient comprendre, et c’est au travers d’eux qu’elle nous parvient. Notons aussi que la semaine de 7 jours était l’usage en Mésopotamie à l’époque d’Abraham, à la différence des semaines de 10 jours en Égypte.

 

 

Je comprends donc aujourd’hui le récit de Genèse 1 comme une révélation sur les origines dans un monde qui était alors peuplé de mythes. L’étude approfondie du texte plaide, me semble-t-il, en faveur d’une structure avant tout littéraire4. Cette structure littéraire avec 3 jours de séparation et 3 jours de peuplement insiste sur le fait que c’est Dieu qui a créé le monde en le faisant venir à l’existence, puis en l’organisant. À ce titre, la Genèse insiste, avec les jours, sur le déroulement du temps à la différence des mythes qui gomment le temps. Cette structure insiste aussi sur le caractère créé de tous ceux qui peuplent le monde, même les plus prestigieux, des rois aux astres. Sur bien des points, le texte se distingue des mythes qui lui sont contemporains. La différence ne porte pas tant sur la chronologie des actes créateurs que sur l’éclairage qui est porté sur notre monde et sa valeur aux yeux de Dieu. On y découvre entre autres une révélation sur l’être humain et sa responsabilité à l’égard de la création, sur le couple humain et sa spécificité, mais aussi sur la présence du mal et son origine historique. Il me semble que l’on peut comparer ces premiers chapitres de la Genèse aux autres textes prophétiques de la Bible, il y est bien question d’histoire, mais avec un ordre plus théologique que chronologique, afin de nous montrer le plan de Dieu dans notre histoire.

 

 

Pour conclure, il me semble qu’il ne faut pas craindre la confrontation entre Bible et Science. Des questions peuvent se poser, car nous connaissons en partie5, autant au niveau des sciences que de notre interprétation des Écritures. L’histoire a montré jusqu’à présent qu’il ne faut pas désespérer de trouver des accords. Parfois nos questions restent ouvertes et l’explication se fait attendre, mais cela est vrai de bien des domaines, dont la science et son rapport avec la Bible. Les deux doivent nous éclairer sur le même monde créé par Dieu. La révélation quant à elle va bien au-delà d’un discours sur la création, elle nous révèle le créateur et son plan à notre égard.

 

C.L.


NOTES

 

1. Ce témoignage a été donné lors de la journée « Bible et origines » à Grenoble le 14 mars 2009.

 

 

2. On trouvera une version étendue de mon témoignage dans « Un regard chrétien sur le bouddhisme » Croire-Pocket n°12

 

 

3. Tout chrétien recevant l’autorité des Écritures est créationniste au sens où il croit que Dieu est le créateur du monde. Les néo-créationnistes ont une lecture littérale des premiers chapitres de la Genèse et en particulier des périodes qui y sont indiquées, ce qui les conduit à croire en une terre de quelques milliers d’années.

 

4. « Révélation des origines », PBU, 1988, d’Henri Blocher développe en détail les raisons en faveur d’une interprétation littéraire du texte

 

5. 1 Co 13.9