Génér@tion jeunes

 

Une approche sociologique

 

des attitudes religieuses de la jeunesse₁

 

 

Par François-Jean Martin₂

 

 

 

 

 

 

 

 

Généralités historiques

 

L’être humain est avant tout un être social. Pour être, il a besoin de s’identifier à un groupe. L’identification de l’enfant ou de l’adolescent à un groupe, à ses normes et ses valeurs, est un élément capital du processus d’insertionsociale. L’identification de l’enfant à ses parents est presque totale : pour lui, le plus souvent, les parents sont des dieux. Puis, à mesure qu’approche l’adolescence, l’enfant prend des distances avec l’univers familial. Cette distance se constitue d’abord à travers l’action socialisatrice du groupe des pairs. Sur ce plan, l’école et la prolongation scolaire ont joué un rôle central dans les sociétés modernes. En éloignant plus longtemps et plus systématiquement les enfants de l’influence familiale, en les regroupant par classes d’âge, l’institution scolaire a permis à une communauté de goûts de se cristalliser. L’école a été l’élément-clé ayant produit la notion moderne de génération. À l’heure actuelle dans le milieu urbain, c’est le groupe de jeunes, la bande qui fonctionne comme une tribu, qui joue ce rôle, en particulier dans les cités, surtout avec la démission parentale et le grand nombre de familles monoparentales ou reconstituées.

À la suite de la première très forte croissance de la scolarisation au début des années 1960, c’est par rapport aux moeurs que les différences générationnelles sont d’abord apparues. Les enquêtes réalisées entre 1975 et 1990 permettaient de constater que les jeunes émettaient des opinions beaucoup plus libérales et plus tolérantes que leurs parents.

 

Les valeurs, en Europe, se structurent toujours autour d’une opposition entre la « tradition », fondée sur la valorisation du passé en tant que tel, et ce qu’on peut appeler « l’individualisation », comprise comme un ensemble de valeurs mettant en avant le libre choix et la promotion de l’individu₃.

 

Les enquêtes montrent la montée d’un repli identitaire sur les espaces d’appartenance les plus proches. Les jeunes, comme les adultes d’ailleurs, se sentent appartenir avant tout à la ville, à la localité, au quartier, à la cité où ils résident, bien avant une forme d’identification nationale ou supranationale. La culture du groupe des pairs prend également une importance grandissante, contribuant là aussi à resserrer le sentiment d’identité collective sur les cercles les plus proches. Cette situation explique à la fois l’absence de conscience de la famille spirituelle et des conceptions très oecuménisantes des jeunes. Il faut trouver des voies pour permettre de faire prendre conscience de la famille dénominationnelle, peut-être en utilisant là aussi l’effet tribu. Comment ? En travaillant et en ouvrant aux jeunes les rencontres régionales et nationales (congrès) où ils doivent trouver place pleine et entière et communication intergénérationnelle.

 

 

Déclin des institutions religieuses, mais maintien des croyances

 

Le sociologue Luckman₄ pense que la religion constitue un aspect universel de la condition humaine. Pour lui, les théories radicales de la sécularisation confondent Église et Religion et assimilent à tort le déclin institutionnel des Églises au déclin de la religion dans la société. Il considère ainsi qu’il n’y a pas perte de la religion, mais privatisation de la religion.

L’évolution générationnelle de la religiosité montre un processus décroissant régulier dans les générations d’avant-guerre et une remontée dans les générations récentes.

La religiosité, notamment chez les jeunes, se détache de son assise institutionnelle. C’est le développement d’une religiosité sans appartenance (believing without belonging)₅ dont on voit les signes se généraliser partout en Europe, en particulier chez les jeunes. Elle signifie que le rapport de ces jeunes chrétiens avec la religion est personnellement plus intense, même s’il ne se traduit pas par un engagement durable. On retrouve aussi là l’effet tribu. Elle alimente le succès de grandes réunions religieuses comme les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ).

D’autre part, l’absence d’éducation religieuse restreint très fortement la portée des signes d’allégeance institutionnelle à la religion et soulignent, pour nous chrétiens évangéliques, l’urgence d’évangéliser : Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler s’il n’y a personne qui prêche ?… Et comment y aurait-il des prédicateurs s’ils ne sont pas envoyés ? (Rm 10.14-15)

Mais l’absence de liens avec une Église n’efface pas toute croyance en une transcendance, notamment parmi les jeunes : ces derniers, lorsqu’ils n’ont pas été élevés religieusement, croient plus souvent que les personnes plus âgées à l’existence d’une vie après la mort et à la réincarnation. Ainsi, les valeurs ou les croyances liées au sacré ou à l’au-delà se recomposent plus qu’elles ne disparaissent.

L’éloignement à l’égard de l’Église et de son enseignement qui se manifeste peut néanmoins avoir des causes internes à l’institution ecclésiale elle-même : l’écart grandissant entre la morale qu’elle prône et celle pratiquée par les jeunes. Ces derniers trouvent ainsi de plus en plus inadaptée la réponse que l’Église apporte aux « questions familiales ». Lorsqu’elle se cantonne à son domaine traditionnel, l’intervention de l’Église est moins contestée. Les jeunes sont plus sensibles à cette question qui les concerne davantage au moment de l’entrée dans la sexualité.

En deuxième lieu, au-delà même de ce nouveau rapport aux institutions, on assiste à l’apparition de nouvelles formes d’appartenance, moins fondées sur ce qui constituait la communauté traditionnelle et plus sur l’affect, la fusion affective, pour former ce qu’on pourrait appeler des communautés émotionnelles. On y retrouve aussi ici l’aspect tribu. Ce type de rassemblement existe aussi dans nos milieux évangéliques et la part tribale et émotive n’y est pas absente. Il ne s’agit pas ici d’évaluer ces rencontres ni de se permettre de les juger. On y trouve une réelle spiritualité et un désir de croissance. Le constat doit permettre de répondre aux besoins en organisant de tels événements, conscients des écueils à éviter et des profits spirituels possibles. Il s’agit aussi pour les responsables d’Église de réfléchir à l’après-événement et à l’accompagnement. Au fond, il ne s’agit pas de lutter contre ce qui en soi n’est ni bon ni mauvais, mais de réfléchir à l’utilisation de ces pratiques actuelles pour communiquer avec la jeunesse.

 

F-J.M.

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NOTES

 

1. Bien que m’intéressant aux analyses sociologiques, je ne suis pas sociologue moi-même, aussi cet article a été élaboré à partir des résultats des recherches du sociologue français, spécialiste de la jeunesse, Olivier Galland, en particulier son livre Sociologie de la jeunesse, Armand Colin, 2007. La partie analyse est un constat de la situation dans la jeunesse en général et n’est pas un jugement porté sur les résultats. Elle ne porte pas spécialement sur les jeunes des Églises évangéliques. En effet, dans notre pays, quand on parle de christianisme, il s’agit dans les études de l’Église catholique, donc elles font souvent référence aux jeunes qui se réclament du catholicisme. Les interprétations et les applications aux jeunes de nos Églises sont de mon fait, donc M. Galland n’est pas responsable de mes propos.

 

2. Je suis professeur et j’ai donc une longue expérience avec des adolescents et des jeunes. Professeur relais dans l’Éducation Nationale, j’ai depuis de nombreuses années accompagné des jeunes en difficulté, passibles de la justice. J’ai formé durant une dizaine d’années mes collègues ou futurs collègues à la gestion des situations conflictuelles.

 

3. Galland O., Lemel Y., Les valeurs des Européens : entre tradition et modernité, Revue française de sociologie, 4, 2006).

 

4. Luckman T., The invisible religion, Macmillan, New York (1967).

 

5. Théorisée par Grace Davie (1996) en Grande-Bretagne et Yves Lambert (2005) en France