Un témoin fidèle de notre

 

histoire :

 

Marie Durand1

 

(2e partie)

 

 

 

 

Par François-Jean Martin

 

 

Nous fêtons cette année le trois centième anniversaire de la naissance de Marie Durand. Si son histoire à la Tour de Constance est bien connue, on ignore en général la suite qui fut tout aussi remplie d’épreuves et de délivrances durant les huit dernières années de sa vie. Nous en donnerons quelques aspects résumés dans cette seconde partie.

 

 

 

 

 

 

 

En Vivarais

 

À sa sortie de prison, il semble selon une tradition orale recueillie que Marie Durand se serait momentanément réfugiée à Saint-Jean, chez sa nièce apostate, avant de reprendre possession de sa maison dont Jean-Jacques Bevengut était toujours locataire. Institué fermier du domaine des Durand, il s’acquittait avec régularité de son loyer. Celui-ci paraît avoir alors avancé une somme assez importante, qui permit de remettre en état les bâtiments où Marie allait désormais achever sa vie. Elle regagna le Bouchet-de-Pranles.

On aurait pu croire qu’à présent la vie de Marie allait se passer paisiblement jusqu’à ce qu’elle rejoigne son maître céleste. Hélas, il n’en fut rien, bien au contraire. Les soucis n’allaient pas tarder à poursuivre Marie Durand jusque dans sa retraite.

 

 

Une nièce ingrate

 

En vain avait-elle prodigué à sa nièce des trésors d’affection. Celle-ci ne put pas ou ne voulut pas empêcher son mari de tendre à sa tante de véritables traquenards. L’ancienne captive, infirme, dut se rendre le 5 septembre 1771 en l’étude Jallat, de St-Vincent-de-Durfort. Il fallait régler les questions d’intérêt laissées en suspens depuis son retour, et qui l’opposaient à Cazeneuve, le mari de sa nièce.

Elle devait à celui-ci ce que sa femme avait remis à Bevengut lors de la libération de l’héroïne, et les dépenses faites jusque-là pour l’entretien de la ferme. Mais Anne Cazeneuve devait aussi à sa tante les revenus des biens (ils appartenaient à Marie) dont elle avait profité entre 1762 et 1768. D’autres comptes aussi étaient en cours. Pour y mettre un terme, on conclut un accord définitif, suivant lequel Marie Durand reconnaissait devoir à Cazeneuve une dette considérable.

On a du mal à mesurer l’ingratitude d’Anne Durand-Cazeneuve à l’égard de sa tante qu’elle presse de payer une somme qui repose principalement sur un héritage où le liquide est chose fort rare.

Marie hypothéqua ses biens, mais elle put régler Cazeneuve en son temps et ne lui devait désormais plus rien de son vivant.

Il lui restait toutefois à payer les intérêts de ces diverses sommes. Elle s’adressa, une fois de plus, à Paul Rabaut. Celui-ci fit parvenir une requête à son ami d’Amsterdam, le pasteur Courtonne. La demande fut transmise, et, le 30 juin, le Consistoire de l’Église lui accorda une rente annuelle.

 

 

L’adversité s’acharne

 

Comme si l’adversité s’acharnait sur Marie, au lendemain même de l’octroi d’une pension qui paraissait la préserver dorénavant de tout souci excessif, son oncle Vabre mourut. Aussitôt, le fils aîné s’empara de la créance et il réclama les 300 livres prêtées depuis 1760. Pour se libérer, l’héroïne eut recours à Catherine Goutès, qu’elle avait élevée à la Tour. Elle lui avança 350 livres. Mais Marie n’en était pas pour autant délivrée de ses tracas. N’ayant plus rien, elle emprunta à Matthieu Coing quelque somme pour vivre et l’ancienne captive restait lourdement endettée.

 

 

Son testament

 

Sentant que la fin pouvait désormais la surprendre d’un jour à l’autre, elle fit établir son testament par le notaire Jallat devant qui elle avait dû signer quelques années plus tôt le dur contrat que lui imposait Cazeneuve.

Cette fois, elle révoqua les dispositions prises à Aigues-Mortes le 25 octobre 1760. Elle déshéritait sa nièce, en lui laissant suivant l’usage les 5 sols symboliques par lesquels toute réclamation devenait impossible à l’apostate, hormis celle des 1 200 livres reconnues par l’accord de septembre 1771. Anne était nommée, elle avait sa part. Quant au reste de sa maigre fortune, Marie la léguait à Marie Vey-Goutet, sa compagne. En dépit de ces dernières affirmations, Marie allait, une fois encore, modifier entièrement ces clauses au cours des mois qui suivirent. La vie devenait sans doute de plus en plus difficile pour elle et sa vieille compagne.

Les terres étaient en friches. Elle omit donc de faire régulariser le testament à peine établi et le 21 juillet 1775, elle mit à exécution un autre projet plus conforme à ses besoins réels : elle reconnut comme son légataire universel le jeune et énergique négociant Jacques Blache. Celui-ci du moins serait capable de rendre aux domaines abandonnés leur valeur d’autrefois.

Puis elle se réserva pour elle et la Goutête, jusqu’à leur décès, quelques produits de la propriété : « Quatre setiers de seigle et quatre de froments, et la moitié d’un cochon gras ». Elles conservaient en outre la jouissance viagère d’une chambre près de la cuisine et d’un galetas au-dessus : c’était tout juste de quoi vivre dans la plus extrême simplicité, presque le dénuement. Les biens donnés furent évalués à 4 000 livres et l’acte fut légalisé à Privas.

Quand l’été eut étendu sa vive et chaude lumière une fois encore sur les vieilles murailles de la maison familiale et sur les champs que Blache commençait à peine à remettre en valeur, aux premiers jours de juillet 1776, la « grande libératrice » que la prisonnière saluait en 1766 arracha Marie aux vicissitudes d’ici-bas. Marie Durand meurt dans sa maison natale au Bouchet-de-Pranles. Le musée du Vivarais protestant y est établi.

Sa nièce n’oublia pas ses intérêts et tira tout aussitôt sur Blache la lettre de change correspondant aux 1 200 livres qu’à titre de légataire le marchand devait lui remettre selon les accords de 1771. Le 15 septembre 1777 enfin, Jean Chambonnet, de Maléon, reçut de Blache les 200 livres qu’Anne, au temps où elle était encore fidèle, lui avait empruntées le 18 septembre 1763 au nom de sa tante. Goutête demeurait seule au Bouchet-de-Pranles. Nul indice ne nous renseigne sur l’heure de sa mort.

 

 

Conclusion

 

Si nous avons pris du temps pour rappeler cette longue histoire, humble et tragique, et donné des détails, ce n’est pas pour faire oeuvre d’historien – d’autres, mieux armés, dont j’ai utilisé les travaux, l’ont fait avant moi. Mais cette vie fait partie de la nuée de témoins de la foi. La foi de cette femme a survécu, malgré tant de souffrances. Jusqu’au bout, Marie Durand est restée fidèle. Et Dieu est resté fidèle dans sa nuit.

C’est le seul intérêt de cette histoire que de nous permettre de retrouver cette femme témoin du Christ, sans cesse si forte et si tendre, dans la simplicité de son âme. Une lumière extraordinaire rayonne ainsi du chaos apparent des cruautés humaines. Aujourd’hui encore, comme tout le long de l’Histoire, il existe de tels hommes et femmes dont les noms ne passeront même pas dans l’histoire des hommes, mais qui brillent dans le livre de la vie. Pour nous, dans les pays occidentaux, qui pouvons vivre librement notre foi, cela nous pousse à l’intercession pour ceux qui ne le peuvent pas et à savoir profiter de la liberté que nous avons pour être cohérents et mettre notre foi en pratique.

Cette seconde partie, fort résumée, nous a conduits depuis la Tour jusqu’aux crêtes abruptes du Vivarais. Si l’injustice des choses de ce monde paraît avoir accablé sans mesure Marie, elle pouvait à bon droit se souvenir du mot de son Maître : « Vous aurez des tribulations ». Car, dans sa vie sacrifiée, mais triomphante, elle en réalisait une fois de plus la promesse : « Prenez courage, j’ai vaincu le monde ».

 

F-J.M.

 


NOTE

 

1. Ce travail a été fait à partir de mon cours sur le protestantisme et des notes prises lors de mes visites sur les lieux cités. J’ai aussi pris beaucoup de notes sur le livre MARIE DURAND Prisonnière à la Tour de Constance (1715-1768), son temps, sa famille, ses compagnes de captivité, de Daniel BENOIT, revu et corrigé par André FABRE, Nouvelle société d’éditions de Toulouse, DIEULEFIT (Drôme), 1938.