Les dons de l’Esprit : premiers repérages

 

colombe

 

Par Jacques Nussbaumer

 

Nussbaumer

Introduction

 

Les dons de l’Esprit : Voilà un sujet qui a alimenté bien des polémiques, jusqu’à susciter hostilité et divisions entre et au sein même des Églises. On l’associe souvent au développement des mouvements pentecôtistes et charismatiques qui, en mettant l’accent sur les dons du Saint-Esprit, a pu être diversement perçu comme un mouvement de Réveil ou, à l’inverse, comme une déviance conduisant à des débordements incontrôlés et une théologie fantaisiste. L’époque est à un certain apaisement, après que des voix se furent levées dans les différents « camps » pour mettre en garde contre les excès de part et d’autre (pratiques bibliquement peu informées, jugements caricaturaux et blessants…). Exégètes et théologiens ont entamé un dialogue plus irénique, même si une diversité d’appréciation subsiste selon les sensibilités et les interprétations des textes bibliques.

 

 

Un cadre pour réfléchir aux dons spirituels

 

Le sujet a une grande importance, car c’est bien sous la conduite de l’Esprit que les chrétiens sont appelés à vivre (Rm 8.14 ; Ga 5.16). Que ce soit dans la discrétion des soupirs qui accompagnent la prière (Rm 8.26) ou l’éclatante puissance que manifeste une résurrection, la troisième personne de la Trinité a pour mission de glorifier le Fils (Jn 16.14) et de « manifester la présence active de Dieu dans le monde, et en particulier dans l’Église »1. Il est particulièrement Celui qui régénère, fortifie, purifie, illumine, révèle, atteste, conduit… Rappelons-nous que le Saint- Esprit est une personne qui ne se confond pas avec ses diverses manifestations, mais en est la source. Il peut encore être utile de mentionner que le Saint-Esprit est lui-même donné, envoyé pour habiter dans le croyant régénéré et dans l’Église (Rm 5.5 ; 8.9 ; 1 Co 2.12). Dans le Nouveau Testament, les dons spirituels présupposent en général le don de l’Esprit, même si Paul (1 Co 13) et Jésus lui-même (Mt 7.22-23) laissent entendre que ce qui pourrait apparaître comme un « don spirituel » chez quelqu’un n’est pas une marque incontestable de la présence ou de la plénitude de l’Esprit.

 

 

Les dons de l’Esprit : de quoi parle-t-on ?

 

Lorsqu’on évoque les dons de l’Esprit, plusieurs textes bibliques s’imposent généralement à l’étude : Rm 12.3-8, 1 Co 12, 1 P 4.10 et Ép 4.7-16 sont les plus cités. On y trouve plusieurs expressions qui rendent l’idée de don spirituel. Notons d’ailleurs que l’expression don spirituel n’apparaît telle quelle qu’en Romains 1.11, et il faut d’emblée préciser qu’elle ne désigne pas ce que l’on appelle aujourd’hui les « dons spirituels ». Il nous faut donc clarifier ce dont on parle…

 

Sylvain ROMEROWSKI2 observe que, en français (comme en anglais et en allemand), le terme don peut avoir deux sens assez différents : il peut désigner le don au sens du cadeau que l’on reçoit, ou le don dont on est doué, se référant plutôt à une aptitude qui serait alors donnée par Dieu à une personne. S. ROMEROWSKI remarque que les exégètes et théologiens se sont souvent concentrés sur la question du « don dont on est doué », alors qu’en grec le terme charisma n’a pas ce sens, même s’il ne l’exclut pas. Pour lui, les textes invoqués ne traitent pas explicitement et premièrement des capacités que l’Esprit donne aux croyants, mais plutôt des cadeaux, à savoir les dons donnés que sont la prophétie, les guérisons, la libéralité, etc. Bref, les dons sont les activités3 que suscite l’Esprit au bénéfice du peuple de Dieu pour lui permettre d’accomplir sa mission jusqu’au retour de Christ. L’apôtre Paul s’adressait à des Corinthiens se croyant (à tort) très spirituels, remplis de sagesse et de connaissance, et qui avaient précisément besoin de reconnaître le caractère gratuit de ces cadeaux que l’Esprit faisait à l’Église. Ainsi, sans nier que l’Esprit puisse donner des capacités particulières qu’il convient de mettre en oeuvre, l’insistance de Paul sur le cadeau lui-même renvoie d’abord à la grande générosité de Dieu envers son Église. Le qualificatif spirituel relève bien de la source divine, et non des qualités de celui qui reçoit le don.

 

 

La grande diversité des dons

 

Ensuite, les divers textes mettent en lumière la (très) grande diversité des dons que l’Esprit fait à l’Église. Les listes que l’on trouve ne se recoupent pas tout à fait, et ces dons sont de natures très différentes. Une étude scrupuleuse du texte ne permet pas d’établir de liste normative des dons spirituels. La diversité des dons mentionnés peut être repérée selon plusieurs axes : leur caractère « miraculeux »4 ou pas, leur permanence variable dans la vie du croyant ou de l’Église5, leur expression publique ou privée, ou encore, dans la perspective des « dons-aptitude », leur intensité en fonction du travail dont ils font l’objet, de la foi mise en oeuvre… Et surtout de la volonté du Saint-Esprit. GRUDEM note aussi une forme de continuité entre les dons spirituels et ce que vivent ordinairement les croyants : il arrive souvent qu’ils soient conduits à prier pour quelqu’un sans avoir reçu préalablement d’information particulière.

 

D’ailleurs, il faut bien l’admettre, certains dons restent mystérieux ! La réalité que désignent les paroles de connaissance est débattue : s’agit-il d’une révélation divine et immédiate d’une situation particulière, ou d’une capacité à comprendre le sens d’un texte de l’Écriture, qui implique aussi son étude sérieuse ? Le parler en langues relève-t- il de la capacité à parler des langues étrangères (inconnues de celui qui parle), ou d’une langue des anges, ou encore d’une forme de « langage » qui n’est pas une langue (au sens de la linguistique) tout en exprimant une réalité ressentie ou perçue6 ? Sans être obstinément fermé à l’intervention du « miraculeux », il n’est pas toujours sûr que ce qui est pratiqué aujourd’hui en référence à ces dons corresponde réellement à ce que Paul observait ou expérimentait dans son contexte…

 

 

La dimension humaine des dons spirituels

 

Les textes mettant l’accent sur l’activité divine plus que sur les capacités humaines, les modalités de cette action restent variables. L’Esprit peut, bien sûr, se servir des capacités naturelles pour les mettre au service du Royaume. Romains 12.3 suggère d’ailleurs de ne pas avoir de prétentions excessives. Une qualité pédagogique peut être fructueuse pour un ministère d’enseignement, mais le Seigneur peut aussi utiliser un orateur moins talentueux. Il semble que, dans ce domaine, l’apôtre Paul n’excellait pas forcément (1 Co 2.1-4)… Nous avons pu nous-mêmes entendre de remarquables orateurs dont l’enseignement manquait d’équilibre biblique. Nous sommes incités à nous attacher premièrement au contenu de ce qui est dit et, sans les mépriser, à ne pas surévaluer les qualités rhétoriques. Ainsi, l’articulation entre les aspects humains et l’activité de l’Esprit peut être variable. Quelles capacités requiert le don de libéralité ? Probablement quelques ressources, mais ne suffit-il pas d’une bonne disposition d’esprit, conforme à l’Évangile ? Que ce soit dans la discrétion d’une relation privée (encouragement) ou une intervention « en chaire », toutes sont des cadeaux qui relèvent de l’action du même Esprit (1 Co 12.4s).

 

 

À qui sont donnés les dons ?

 dons

Dans l’ensemble des textes, on peut aussi observer que les dons spirituels peuvent être considérés sous l’angle des chrétiens qui en bénéficient, mais aussi de celui qui les met à disposition de l’Église : le don spirituel est un cadeau partagé ! Ainsi, dans plusieurs textes, Paul fait allusion à son ministère d’apôtre comme un don7. Paul invite Timothée à ne pas négliger (1 Tm 4.14), et même à raviver (2 Tm 1.6), le don reçu, qui peut être compris comme son ministère8. Anciens, responsables de services, ou chrétiens à l’oeuvre dans l’Église, considérons- nous notre charge ou notre activité comme un don venant de Dieu, ou comme un produit de notre propre générosité ? Dans la liste d’Éphésiens 4, ce ne sont ni les capacités ni même les activités qui constituent le don de Dieu, mais les personnes elles-mêmes. Dieu a donné des apôtres, prophètes, évangélistes et pasteurs-enseignants9 à l’Église ! Alors, tout est don ! Les dons spirituels sont des dons pour ceux qui les partagent comme pour ceux qui en bénéficient, les premiers étant eux-mêmes un don !

 

 

Donnés pour l’édification

 

vitrauxDonnés pour l’édification, c’est bien l’objet des textes qui parlent de la diversité des dons, en fait, des « cadeaux à l’Église » ! L’Esprit donne pour le bien de l’Église10… On peut noter deux dimensions à cet objectif : une notion de gratuité, parce que faire du bien est dans la nature de Dieu, et un aspect plus intentionnel. Il s’agit de permettre au corps de fonctionner et de grandir dans l’unité et la connaissance de Christ (Ép 4.12-16), mais aussi de donner à chaque membre du corps ce dont il a besoin pour son activité propre (v.12). Dans ce texte, le ministère est celui de chaque croyant ! Ainsi, considérant l’objectif collectif que Dieu poursuit par les dons spirituels, certaines questions seront reformulées. Il est important de mettre nos « dons-capacités » au service des autres (1 P 4.10) et de les travailler. Mais il est également important de considérer ce que nous faisons déjà, ou pouvons faire, sans « capacités » particulières, comme un don que Dieu fait à l’Église ! Dois-je chercher l’Église locale où je peux mettre en oeuvre mes dons, ou me mettre à l’oeuvre dans l’Église locale, selon ses besoins ? Il ne faudrait pas trop vite opposer les deux options, mais il est biblique de ne pas mépriser ce qui peut être donné (par l’Esprit !) de précieux à l’Église sans compétence particulière. Inversement, plutôt que de se lamenter en Église sur les dons qui paraissent manquer, on pourrait réfléchir à ce que Dieu a donné à l’Église et y discerner une direction pour mobiliser, encourager, former les membres… Il est nécessaire de veiller à la bonne articulation entre l’épanouissement personnel et l’épanouissement collectif. D’ailleurs, si l’expression de ces dons relève prioritairement de l’Église locale, peut-être notre congrégationalisme viscéral nous fait-il oublier que certains dons la dépassent, et peuvent s’exercer en réseau, sur un territoire ou au sein d’une famille d’Églises…

 

 

Hiérarchie des dons ?

 

Cadeaux de Dieu pour l’Église, il est enfin nécessaire de rappeler que les dons spirituels ne sont pas des indicateurs de la maturité spirituelle du croyant. Paul insiste sur l’importance égale de chaque don pour la vie de l’Église, à l’image du corps qui a besoin de chaque membre. En même temps, il invite aussi à rechercher les dons les meilleurs (1 Co 12.31)… Or, il semble que deux critères soient à considérer : c’est d’abord l’amour donné (à cultiver !) à chaque croyant qui confère une valeur à tout don spirituel pour celui qui le partage (1 Co 13). Deuxièmement, les dons les meilleurs correspondent à ceux qui sont le plus utiles à l’édification des autres (1 Co 14.12, 26). Certains cadeaux qui favorisent la piété personnelle sont moins essentiels que ceux qui contribuent à la construction de l’Église. Or, en matière de vie d’Église, les ministères de la Parole ont un rôle structurant, sans être opposés aux autres qui expriment la dimension concrète de la réalité proclamée et enseignée. Si le don est bien cadeau de l’Esprit, soyons reconnaissants ! Et désirons le meilleur pour le corps de Christ !

 

J.N.


NOTES

 

1. Wayne G RUDEM, Théologie Systématique, Charols, Excelsis, 2010, p.699

 

2. Sylvain ROMEROWSKI, « Les « charismata » du Nouveau Testament : Aptitudes ou ministères ? » ThEv vol. 1, n°1, 2002, pp. 15-38 ; du même auteur, « dons spirituels », in Dictionnaire de Théologie Biblique, Cléon d’Andran, Excelsis, 2006, pp.521-534.

 

3. Sans toujours distinguer l’activité elle-même et le résultat obtenu.

 

4. Il faut entendre ici le terme miraculeux comme relevant d’une « activité divine moins ordinaire par laquelle Dieu se rend témoignage à luimême et suscite l’admiration et l’étonnement chez les gens » (Wayne Grudem, op.cit., p.380). Les dons mentionnés en 1 Co 12 le sont tous.

 

5. L’apostolat au sens fort était permanent dans la vie de Paul, mais temporaire dans l’Histoire de l’Église.

 

6. Pour quelques précisions sur les discussions menées sur ces divers débats, voir par exemple Sylvain ROMEROWSKI, « Dons spirituels », op.cit. ; voir aussi D.A. CARSON, Showing the Spirit, Grand Rapids, Baker Books, 1987.

 

7. Rm 1.5 ; 15.15-16 ; Ép 3.2, 7 ; Col 1.25.

 

8. Sylvain ROMEROWSKI, « Les charismata du Nouveau Testament… », op.cit, pp.23-24

 

9. Le texte original peut laisser penser que les deux termes, pasteurs et enseignants désignent une même réalité qui les associe.

 

10. Les textes repérés parlent principalement de l’activité à destination de l’Église, même si ces dons spirituels peuvent avoir un impact au-delà, dans le témoignage de l’Église.