La Mission : un sport collectif ou individuel ?

 

 

Par Brad DICKSON

Brad-Dickson

 

Il est minuit, le 31 décembre 1978. Je me trouve dans une foule de plusieurs milliers d’étudiants chrétiens rassemblés pour un congrès sur la mission. Un orateur doué et convaincant fait un vibrant appel : « Qui se lèvera pour partir en mission ? » Je me sens porté, poussé, je me lève, j’avance, un conseiller prie pour moi. Je suis prêt à partir, me disje. Mais dès le lendemain, un tsunami de questions me submerge : Où partir ? Comment ? Avec quel argent ? Dans quelle fonction ? Avec les conseils de qui ? Sous quelle autorité ? Et je me rends compte tout d’un coup que j’ai besoin d’en parler… aux anciens de mon Église, qui ignorent tout de mon cheminement !

Nous verrons dans cet article que deux textes clés du Nouveau Testament placent la responsabilité pour la mission prioritairement sur l’Église et ses responsables. Les individus sont aussi interpellés.

 

 

L’Église d’Antioche

 

Actes 13.1-4 : Il y avait, dans l’Église qui était à Antioche, des prophètes et des docteurs… Pendant qu’ils célébraient le culte du Seigneur et qu’ils jeûnaient, le Saint-Esprit dit : Mettez-moi à part Barnabas et Saul pour l’oeuvre à laquelle je les ai appelés. Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent partir. Eux donc, envoyés par le Saint-Esprit, descendirent à Séleucie, et de là ils s’embarquèrent pour Chypre.

 

Luc nous présente l’envoi en mission comme un sport collectif où trois partenaires s’engagent : l’Esprit saint, l’Église, et les missionnaires.

 

L’Esprit saint émerge dans ce texte comme étant souverain sur la mission. Il est celui sans lequel rien ne se fait. Il prend l’initiative. Il parle aux missionnaires, les appelant à son service. Il parle à l’Église, lui demandant de mettre à part Paul et Barnabas pour la mission. Cela ne veut pas dire que Luc considère l’Église et les missionnaires comme des partenaires passifs. Ils ont chacun leur responsabilité. Mais à la fin, c’est « envoyés par le Saint-Esprit » que les missionnaires partent. Quel encouragement pour l’Église et pour ses missionnaires de savoir que la mission n’est pas une entreprise humaine mais divine !

 

L’Église et ses responsables sont aussi centraux dans le récit. Ils sont exemplaires dans leur attitude de prière, dans leur recherche de la volonté de Dieu et par leur générosité. Ils sont d’accord pour libérer leurs pères spirituels, Barnabas et Paul, pour la mission. Ils leur imposent les mains, signifiant ainsi leur bénédiction et leur solidarité spirituelle et financière. Ils sont prêts au sacrifice pour que la bonne nouvelle soit prêchée au loin. Qu’il est regrettable de constater que certaines Églises attristent l’Esprit en n’encourageant pas la mission !

 

Luc présente les missionnaires, eux aussi, comme des acteurs pleinement investis. Barnabas puis Paul découvrent à Antioche une grande vérité : les non-juifs aussi peuvent et doivent connaître la bonne nouvelle du salut en Jésus- Christ !1 Leurs yeux s’ouvrent alors au champ de mission quasi infini et à leur responsabilité d’aller. On imagine aisément qu’ils aient fait part à leurs collègues anciens de leur fardeau pour les nations. Est-ce à ce sujet que l’Église priait quand l’Esprit a parlé ? Et que faut-il lire entre les lignes quand le texte dit que l’Église « laisse partir » les missionnaires ? Les missionnaires avaient-ils un temps d’avance sur les autres responsables dans le discernement de la volonté de Dieu ? Y a-t-il eu hésitation ? Dans tous les cas, à la fin, c’est l’Esprit qui triomphe et les missionnaires partent avec la pleine bénédiction de l’Église.

 

 

L’Église de Rome

 

En l’an 58, Paul considère qu’il a achevé sa mission envers l’Asie Mineure et la Grèce.2 Son coeur se tourne vers l’Espagne, territoire vierge en ce qui concerne l’Évangile.3 Il a besoin d’une Église solide derrière lui pour réaliser ce projet. Sa première Église d’envoi, Antioche, est située bien trop loin de l’Espagne pour constituer une base de soutien pratique. Il espère donc trouver à Rome une Église convaincue de la nécessité de la mission et prête à mettre la main au portefeuille : quand je me rendrai en Espagne, j’espère vous voir en passant et y être accompagné par vous. (Rm 15.23-24)

 

À la lumière de cette demande, toute l’épître aux Romains peut être lue comme une plaidoirie pour la mission.4 Il veut convaincre cette Église de la nécessité de la mission et être certain qu’elle adhère à l’Évangile qu’il compte annoncer en Espagne.5

 

Les chapitres 1 à 3 traitent de la culpabilité universelle et de la juste condamnation de Dieu. Les païens (il pense à l’Espagne) sont condamnés malgré leur ignorance de l’Évangile. Les Juifs ne seront jamais justifiés par leurs pratiques religieuses. Tous ont besoin d’entendre l’Évangile. Ces chapitres sont d’une actualité consternante pour nous. Combien de chrétiens aujourd’hui pensent faussement que musulmans, hindous ou animistes sont comme protégés par leur ignorance ou par leur sincérité dans leurs pratiques religieuses ? Selon vous, y a-t-il vraiment besoin de la mission encore aujourd’hui ?

 

Les chapitres 9 à 11 de la même épître mettent en relief la souveraineté de Dieu sur la mission. Il a un plan pour tous les peuples qu’il exécutera. Mais cette souveraineté n’enlève pas le besoin de la prédication de l’Évangile, bien au contraire. Au chapitre 10, Paul exhorte l’Église à assumer pleinement sa responsabilité missionnaire.

 

Tous ceux qui feront appel au Seigneur seront sauvés. Mais comment feront-ils appel à lui s’ils n’ont pas cru en lui ? Et comment croiront-ils en lui s’ils ne l’ont pas entendu ? Et comment entendront-ils s’il n’y a personne pour le leur annoncer ? Et comment y aura-t-il des gens pour l’annoncer s’ils ne sont pas envoyés ?6

 

commentaire BibleL’apôtre nous invite à réfléchir au processus missionnaire. En partant du salut, le résultat souhaité, il remonte la chaîne en identifiant tous les maillons qui doivent être mis en place. Pour être sauvé, il faut que les hommes fassent appel à Dieu, donc, il faut qu ’ ils croient, donc, il faut qu’ils entendent l’Évangile, donc, il faut qu’il y ait des missionnaires… Mais Paul n’arrête pas sa construction là. Les missionnaires n’apparaissent pas par génération spontanée. Il faut qu’ils soient sélectionnés, formés, conseillés, encouragés, soutenus, envoyés ! Il faut l’Église. Il faut une Église concernée, motivée, passionnée par la mission. Il faut une Église à l’écoute du Saint-Esprit.

 

 

Conclusion

 

La mission est décidément un sport collectif. L’Esprit Saint est le sélectionneur. L’Église compose l’équipe dont certains, les missionnaires, seront en première ligne.

 

B.D.


 NOTES

 

1. Ac 11.21-26

 

2. Rm 15.23 : je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées.

 

3. Rm 15.20 : je me suis fait un point d’honneur d’annoncer l’Évangile là où Christ n’avait pas été nommé, afin de ne pas bâtir sur le fondement d’autrui.

 

4. B. Dickson, Romains, commentaire biblique, éditions CLE, 2005, page 17.

 

5. Dans Rm 2.16 et 16.25, Paul emploie l’expression : « mon Évangile », car il sait qu’il y a de faux enseignements qui circulent.

 

6. Rm 10.13-16