«Disciples » à la dérive ?

 

 

Par Reynald Kozycki

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Les risques de dérive sont nombreux. Nous nous arrêterons simplement sur la tentation de la tiédeur, de la « loi » et de l’illuminisme

 

 

 

 

Disciple ou croyant ?

 

Les articles précédents ont souligné de nombreuses caractéristiques de la vie de « disciple ». Si ce mot n’est plus repris dans les épîtres1, la relation maître-disciple se retrouve en partie dans la notion d’appartenance : Vous ne vous appartenez point à vous-mêmes, vous avez été rachetés à un grand prix (1 Co 6.19) ou dans le sens positif d’esclave (doulos) : Vous vous êtes tournés vers Dieu, en vous détournant des idoles, pour servir, comme des esclaves, un Dieu vivant et vrai (1 Th 1.9 NBS). La repentance et la « suivance » sur lesquelles insistent les trois premiers évangiles consistent, pour Jean, à développer la foi et une écoute de la Parole de Jésus : Celui qui écoute ma parole, et qui croit… est passé de la mort à la vie (Jn 5.24). Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres (8.31). Le disciple est désormais « greffé » au divin cep, appelé non seulement à suivre, mais à demeurer en Christ (Jn 15.1-7). En fait, tous les enseignements de Jésus sur le thème maître-disciple se transposent sans difficulté dans une vie désormais unie à lui par son Esprit, sur le terrain de la foi et de l’obéissance. Arrêtons-nous sur trois dérives.

 

LE DISCIPLE EST DÉSORMAIS « GREFFÉ » AU DIVIN CEP, APPELÉ NON SEULEMENT À SUIVRE,

MAIS À DEMEURER EN CHRIST (JN 15.1-7)fruit-disciple

 

Dérive 1 : Baisser la barre

 

L’une des dérives les plus courantes me paraît être la tiédeur spirituelle, le relâchement face aux nombreuses tentations qui nous harcèlent. La majorité des exhortations bibliques s’attaquent à cette dérive. Paul écrit : Ne mettez aucune partie de votre corps à la disposition du péché (Rm 6.13, NBS). Jésus nous enseigne à prier : Garde-nous de céder à la tentation… délivre-nous du Tentateur (Mt 6.13, PVV) ou encore Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu (Lc 9.62). Personne ne peut être esclave de deux maîtres… Vous ne pouvez être esclaves de Dieu et de Mamon (Mt 6.24).

 

À l’exception de quelques chrétiens « endurcis » par le péché ou des pseudo-croyants, la marche dans la sainteté, dans la foi et l’obéissance, est le mode de vie auquel chaque enfant de Dieu aspire. Pour Jésus, il n’y a pas d’hésitation : Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père (Mt 7.21).

 

Mais concrètement, dans la pression constante d’un monde hostile à l’Évangile, de puissances intérieures qui font la guerre à l’âme (1 P 2.11), de forces dans les lieux célestes cherchant à nous faire chuter (Ép 6.12), est-il possible de garder la « barre si haute » ?

 

Si nous répondions : « Non », nous serions alors en contradiction ouverte avec le b.a.-ba de l’Évangile : L’amour de Dieu consiste à garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles, parce que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde ; et la victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi (1 Jn 5.3-4).

 

Les recommandations innombrables de la Bible à être vigilant nous rappellent que le combat n’est pas facile : Étroite est la porte et resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent (Mt 7.14). La foi compte sur les ressources d’un Autre. Elle se nourrit des promesses de Dieu. Ainsi le disciple est équipé par la puissance de l’Esprit pour triompher face aux nombreuses tentations.

 

 

Dérive 2 : La « loi »

 

Une lecture un peu rapide des évangiles pourrait nous placer devant une « loi » encore plus écrasante que la loi mosaïque2. Les nombreuses exhortations à suivre le Seigneur en priorité absolue, à se renier soi-même, ou même à « porter sa croix »… pourraient conduire à un violent sentiment d’échec et une continuelle culpabilité3. Mais l’insistance sur la repentance et la foi nous rappelle notre totale incapacité. C’est en comptant de tout notre coeur sur le Seigneur que notre consécration prend son sens. Si les exigences de Jésus sont « surhumaines », il les résume pourtant en quelques mots suite à une question des auditeurs : Que devons-nous faire pour accomplir les oeuvres que Dieu attend de nous ? – L’oeuvre de Dieu, leur répond Jésus, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé, que vous placiez votre confiance en lui (Jn 6.28-29 PVV).

 

Les textes clés qui présentent le chemin du salut condamnent avec vigueur les « oeuvres de la loi » afin que « nul ne se glorifie devant le Seigneur » (Rm 3 ; Ga 2 ; Ép 2…). La logique de la « loi », pour faire court, cherche à puiser la force en soi-même et non en Dieu, pour en tirer subtilement une gloire personnelle. Au lieu de développer une vraie dépendance par rapport à Dieu, le légaliste cultive une plus grande autonomie devant Dieu4.

 

Le disciple, tout en développant une « discipline » personnelle, recherche un autre fonctionnement que la vie selon la chair ou selon ses ressources purement humaines, ou encore, selon la loi. Il désirera, au contraire, marcher selon l’Esprit, en puisant dans le divin cep, par la foi, nourri par la parole agissante du Seigneur.

 

 

Dérive 3 : « L’illuminisme »

 

Parfois l’ennemi ne parvient pas à nous faire baisser la barre. Au lieu de nous freiner, il cherchera à nous faire aller plus loin que ce qui est écrit. Par exemple, le diable n’a pas réussi à amener Jésus à transformer des pierres en pain pour le faire quitter le chemin d’obéissance. Dans sa 2e tentation, Satan lui propose une lecture spéciale du Ps 91 en l’incitant à se jeter du haut du temple. Les anges ne devaient-ils pas le porter ? (Mt 4.1-4)

 

Le disciple, décidé à être entier pour son Seigneur, connaîtra parfois de subtiles tentations vers des exubérances charnelles, un illuminisme déconnecté d’un minimum de bon sens, le tout, à partir de textes bibliques mal compris, ou sortis de leur contexte. Ce fut, me semble-t-il, le cas de plusieurs Corinthiens avec une pratique exagérée de certains dons, notamment la glossolalie. Au chapitre 14, Paul doit corriger le déséquilibre dangereux qui résulte de ces dons mal exercés. Comme l’ennemi sait « caresser dans le sens du poil », probablement que ces Corinthiens ont glissé vers un désir de se mettre en avant par la pratique de ces dons, au lieu de chercher à édifier réellement la communauté et exprimer l’amour de Dieu5.

 

Jésus, lui, a su déjouer la ruse du diable en disant : Il est aussi écrit : Tu ne provoqueras pas le Seigneur. Heureux celui qui connaît suffisamment la Parole de Dieu en la serrant dans son coeur à l’exemple de l’homme Jésus. Ce disciple développera une vision plus globale de cette révélation, en vue de déjouer les manipulations sataniques.

 

 

Conclusion

 

Les trois dérives mentionnées ci-dessus font apparaître trois pathologies de la vie chrétienne que l’histoire de l’Église et l’observation contemporaine confirment trop souvent. Selon notre arrière-plan, nous glissons plus facilement dans l’une de ces trois. La plus courante est, de loin, la première, contre laquelle nous n’aurons pas un seul jour de répit tant la pression à vivre une vie tiède est forte. La deuxième prend sa mesure lorsque nous sommes conscients que la sainteté et l’obéissance sont essentielles ; l’écueil de la loi se guérit progressivement dans la redécouverte de la grâce. La dernière dérive est probablement plus subtile dans des milieux « non charismatiques », mais peut prendre des formes sournoises d’orgueil spirituel.

 

Le chemin est décidément étroit. Heureusement, à chaque jour suffit sa peine.

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Questions pour groupe

 

 

1. Pourquoi, à votre avis, les épîtres ne désignent-elles 1 pas le chrétien comme un disciple?

2. Comment transposer les déclarations les plus fortes de Jésus sur le « disciple » à la vie chrétienne après la Pentecôte?

3. En reprenant les textes bibliques cités ci-dessus pour décrire le danger de la tiédeur, comment pouvons-nous affronter cette dérive?

4. Même question sur le danger du légalisme.

5. Même question sur le danger de l’illuminisme.

 

 

 

 

 

R.K.


NOTES

 

1. Voir notamment l’article d’Éric Waechter « Suivre Jésus aujourd’hui ».

 

2. Ce thème a été abordé dans un numéro précédent. Il n’est pas inutile d’en redire quelques mots à propos de la vie de « disciple ». Voir Servir 1/2013, Légaliste, moi ?

 

3. On peut méditer par exemple le Sermon sur la montagne (Mt 5-7) ou ces paroles radicales de Jésus, Mt 10.39 : Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera (ou Mt 16.25 ; Mc 8.35). Lc 9.23 : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix, et qu’il me suive (ou Lc 17.33). Jn 12.25-26 : Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.

 

4. « Le légalisme commence quand l’homme devenu pécheur, mais toujours placé sous le régime de la loi, s’imagine qu’il pourra, en faisant un certain nombre des oeuvres définies par la loi (oeuvres de la loi), obtenir pour salaire la vie, l’agrément de Dieu (justification)… En outre, comme c’est un homme séparé de Dieu qui entreprend de devenir juste, l’effort même d’observation de la loi exprime la volonté d’autonomie à l’égard de Dieu, l’essence du péché ! Voilà pourquoi, paradoxalement, c’est le plus charnel des péchés. » Henri Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, fascicule 1, Vaux-sur-Seine, 1982, p.141.

 

5. Nous renvoyons à notre article sur « Le don des langues » dans Servir, 3/2012, Pour le bien de tous.