Actes 15

 

ou la crise judaïsante dans l’Église des premiers temps

 

 

Par François-Jean Martin1

François-Jean Martin

 

Pour découvrir les enjeux de ce texte, il faut s’intéresser au contexte historique, nous essaierons ensuite de tirer quelques principes de la façon dont l’Église a traversé cette première crise.

 

 

 

I – L’aspect historique

 

Le texte2 d’Actes 15 fait référence à ce qu’on a appelé la crise judéo-chrétienne qui se développe de 50 à 70 après Jésus-Christ.

 

Elle est marquée par deux faits importants. Il s’agit tout d’abord de l’exaspération du nationalisme juif dont une des conséquences sera la forte pression exercée sur les chrétiens issus du judaïsme (ou judéo-chrétiens) par leurs compatriotes. Le second aspect est dû à l’expansion du christianisme dans les milieux païens et aux difficultés qu’auront les chrétiens de cette origine (ou pagano-chrétiens) pour se dégager du contexte juif de l’Évangile. Au seuil de cette période, en l’an 49, se produisent deux événements marquants qui témoignent d’une crise entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens. Il s’agit de l’incident d’Antioche et du concile de Jérusalem.

 

Au terme de la crise en 70, nous trouvons la chute de Jérusalem qui, si elle ne résout pas toute la question, met cependant un terme aux espoirs du nationalisme juif, source principale de la crise.

 

A. Les données de la crise d’Antioche

 

Paul et Barnabas sont rentrés à Antioche en l’an 48 de leur premier voyage missionnaire et ils rendent compte à l’Église de tout ce que Dieu avait fait avec eux et comment il avait ouvert aux païens la porte de la foi (Ac 14.27).

 

L’APÔTRE PAUL DEVANT LE CONCILE DE JERUSALEM

paul-concileIl semble évident à cause de la suite du texte (Ac 15.1ss) que les païens convertis n’étaient pas astreints aux observances juives et tout particulièrement à la circoncision. Or voici que des gens venus de la Judée enseignent la nécessité de la circoncision pour être sauvé. Comment comprendre cela ? S’agit-il de la position de l’Église de Jérusalem ? D’un courant suivant son principal responsable Jacques ?

Or la circoncision ne faisait pas partie de l’Évangile que le Seigneur avait confié à Paul et que ce dernier avait prêché. À travers l’Asie Mineure, par son ministère, des centaines d’anciens païens se réjouissaient dans la grâce de Dieu et vivaient des vies renouvelées et cela sans qu’aucun ne soit circoncis. Et voici qu’on enseigne que, pour être sauvé, il faut sacrifier au rite de la circoncision et à une pratique rigoureuse de la Loi de Moïse (Ac 15.5).

Le danger était de solidariser le christianisme avec le destin temporel d’Israël. Paul et Barnabas le comprennent bien et s’opposent vivement à ces exigences. Bien sûr, leur réaction traduit tout d’abord l’obéissance au cadre que Dieu lui-même a donné. Dépasser ces limites conduit au légalisme que la Parole considère comme une façon de tenter Dieu (Ac 15.10), en mettant sur soi ou sur les autres des obligations plus dures, plus exigeantes que celles que Dieu a demandées. C’est l’orgueil qui est à l’origine de cette attitude. « Moi, par mes forces, je peux faire plus que ce que Dieu me demande », c’est se mettre un joug qu’on ne peut porter, les Juifs le savaient bien (Ac 15.10).

 

La réaction de l’Église d’Antioche face à cette agression doctrinale est ferme. Un déplacement s’impose pour confronter la thèse des Judéens à l’enseignement des apôtres et à la sagesse des responsables de l’Église de Jérusalem. Il faut absolument dissiper le doute : les témoins de la résurrection auraient-ils décidé que, finalement, la circoncision est essentielle au salut ?

Elle envoie donc une délégation de frères accompagnés par l’Église (Ac 15.3).

 

B. Le concile de Jérusalem

 

Cet épisode relate un moment particulièrement critique dans l’histoire de l’Église de Jésus-Christ. Si les bonnes décisions n’étaient pas prises, on pouvait craindre de voir les disciples de Jésus s’organiser comme une simple secte du judaïsme en perdant de vue le sens de la croix, ou aboutir à une scission entre les deux courants et à la fin de l’unité de l’Église naissante.

 

Les apôtres et les anciens de l’Église examinent la question. Les deux porte-parole, Pierre pour les apôtres et Jacques pour les anciens3, ont des interventions complémentaires à l’issue du débat.

Pierre a vécu une expérience essentielle chez Corneille et l’Église de Jérusalem a déjà reconnu dans cet événement un tournant. Dieu lui-même a témoigné qu’il accepte les non-Juifs qui croient en Jésus et qu’il le fait uniquement sur la base de leur foi en l’oeuvre du Christ. Il n’a pas exigé qu’ils soient circoncis pour leur donner son Esprit.

Jacques approuve la déclaration de Pierre qu’il considère comme conforme aux paroles des prophètes. Le but est de trouver un socle commun qui permettra aux chrétiens d’origines diverses de se fréquenter et se connaître, pour s’aimer plutôt que se déchirer. La tâche de Jacques n’est pas facile. Il doit rassurer les chrétiens d’origine juive sans décourager ceux d’origine païenne. Il ne peut être ajouté la circoncision à la foi comme moyen de salut.

Et à cette fin, avec beaucoup de sagesse, Jacques va placer la discussion sur le terrain de la Parole de Dieu qui doit être un « terrain d’entente ». Il est d’accord avec Pierre qu’il n’y a aucune raison d’exiger que les païens qui se convertissent à Dieu soient circoncis et vivent comme des Juifs. Ce n’est pas nécessaire à leur salut, ce n’est pas utile pour leur marche chrétienne. L’unité chrétienne ne se construira pas sur une loi, encore moins sur un catalogue d’interdictions, mais sur la seigneurie de Christ reconnue et vécue par tous. Le seul joug légitime est ce joug aisé et ce fardeau léger que Christ propose. Ainsi Pierre et Jacques tranchent en faveur de Paul.

 

jerusalemLa consultation de Jérusalem a voulu éviter l’apparition d’Églises « judéo-chrétiennes » à côté d’Églises « pagano-chrétiennes ». Christ n’est pas divisé. Il en allait du témoignage vécu des chrétiens devant un monde critique et hostile.

Ce choix va être important pour le futur christianisme, car il officialise en quelque sorte la rupture avec le judaïsme et ouvre toutes grandes les portes aux païens pour qu’ils se convertissent selon la volonté de Dieu.

 

Si la question semble être réglée, la situation est loin de l’être. En 70, Titus s’empare de Jérusalem, massacre la population juive et rase le Temple. Cette fin tragique conclut aussi la crise judéo-chrétienne. Le courant judaïsant va rapidement se réduire.

 

 

II – Halte à tout légalisme – ou la grâce seulement

 

Si ces prescriptions datant du contexte des apôtres ne sont plus d’actualité, notre époque a trouvé les siennes : la confession du péché de ses ancêtres, la recherche obsessionnelle de certaines manifestations des dons de l’Esprit comme preuve obligatoire du salut, ou du baptême du Saint-Esprit, l’expérience personnelle ou collective mise à égalité de valeur avec la Parole ou même conçue comme complément indispensable à la Révélation (gnosticisme moderne), ou la réussite comprise à tous niveaux (finances, santé, famille) comme preuve de la réalité de la foi et de la vie de l’Esprit, etc.

Ceci ne prête pas à rire du fait des ravages accomplis dans les Églises par de tels hérésies ou points secondaires dressés comme doctrine primordiale et voie obligatoire pour le salut. Cela nous pousse plutôt à l’humiliation, à la prière et à l’étude de la Bible.

 

En Christ, nous sommes réellement libres, selon sa promesse. Paul écrira aux Galates (5.1) : Le Christ nous a rendus libres pour que nous connaissions la vraie liberté. C’est pourquoi tenez bon et ne vous laissez pas réduire à nouveau en esclavage. L’apôtre était lui-même convaincu que rien n’est impur en soi, même pas la viande offerte en sacrifice à des idoles, car les idoles ne sont rien. Ainsi, on ne doit jamais se laisser imposer aucun joug qui ferait dépendre le salut d’autre chose que de la foi en la grâce qui découle de la croix.

Vivre par la foi, c’est vivre dans la liberté de Christ. Mais c’est aussi vivre « sans filet », sans recours à des codes et des rites pour se donner bonne conscience à petit prix. C’est vivre en prise directe avec le Dieu vivant, guidé par sa Parole et son Esprit au sein de son Église.4

 

Nous, de même, nous devons nous demander quelle est la part de traditions, de façons de faire héritées de nos pères, pour savoir si elles sont encore valables de nos jours, compatibles avec une juste compréhension et un bon vécu de la foi chrétienne.

 

Depuis l’époque de Paul, les ennemis de la grâce ont tenté d’ajouter quelque chose au simple Évangile de la grâce divine. Ils nous disent qu’on peut être sauvé par la foi en Christ plus autre chose : les bonnes oeuvres, les dix commandements, le baptême, l’adhésion à une Église, les rites religieux. Mais Paul montre que ces docteurs se trompent et il maudit quiconque, homme ou ange, prêche un autre Évangile que celui de la grâce de Dieu en Jésus- Christ (Ga 1.6-9).

 

Suis-je conscient que mon attitude, ma façon de vivre, de me comporter, peut être une atteinte à l’oeuvre du Christ ? Portons-nous par notre vie un faux témoignage au message libérateur du Christ ? Qu’avons-nous ajouté au message de l’Évangile ? Pour être considéré comme membre du corps de Christ, qu’est-il « exigé » dans notre assemblée, dans ma pensée ? Quels murs de séparation avons-nous reconstruits par nos exigences, par nos traditions, entre nous et d’autres frères et soeurs ?

 

Tout ce qui est ajouté au salut d’une certaine façon nie l’oeuvre du Christ ; on propose alors un salut par les oeuvres. Le légalisme, c’est tout ce qu’on ajoute ou enlève à la grâce et donc à l’oeuvre du Christ. Tout ce qui est un plus à l’oeuvre du Christ est en fait un moins dans notre vie chrétienne.

 

F-J.M.


 NOTES

 

1. J’ai emprunté un certain nombre de phrases à l’excellent commentaire de Robert Souza, Chassez le religieux, le livre des Actes, 2010, disponible sur www.lulu.com, et dont je recommande la lecture. Je suis heureux de le remercier pour son travail.

 

2. La lecture de ce chapitre est indispensable pour suivre le présent article.3 Il faut noter que c’est Jacques l’ancien et pas Pierre l’apôtre qui préside cette rencontre dans l’Église de Jérusalem

 

3. Il faut noter que c’est Jacques l’ancien et non Pierre l’apôtre qui préside cette rencontre dans l’Église de Jérusalem.

 

4. Robert Souza, op.cit. p.177