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Conflits dans le cadre de l’Ancien Testament 

 

 Par Marcel Reutenauer

Reutenauer

Plusieurs conflits interpersonnels sont rapportés, avec plus ou moins de détails, dans les pages de l’Ancien Testament : entre Caïn et Abel, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères, etc. Ce que la Bible nous relate peut-il nous instruire utilement ? L’un des textes raconte le conflit de David avec Nabal1.

 

 

Les protagonistes

 

Nabal : Son nom n’a rien d’engageant : « Nabal » signifie « insensé », « rustre »2, et le texte le décrit, selon les traductions, comme dur, méchant, brutal, malfaisant, grossier (v. 3), de mauvais caractère, fils de Bélial, vaurien, brute, grossier (v. 17). Il est « comme son nom », abruti, il y a chez lui de la folie, dit sa femme (v. 25). Mais c’est un homme très riche (v. 2) pour qui la réussite sociale tient lieu d’identité pour compenser son nom si lourd à porter. Cela le pousse aussi à dédaigner les autres, il n’est pas enclin à la considération envers autrui.

 

David : Dernier des huit fils d’Isaï, il a été secrètement oint roi d’Israël par Samuel.3 Mais Saül, bien que rejeté par Dieu, est encore sur le trône d’Israël. Malgré son exploit contre Goliath, il est l’objet de la vindicte de Saül et doit craindre pour sa vie. David est contraint à l’exil et à la clandestinité. Au début du récit qui nous intéresse, Samuel le prophète vient de mourir (v. 1) et David a pu en être affecté comme tout Israël.

 

 

La source et le développement du conflit

 

David, apprenant que Nabal fait tondre ses brebis à Carmel, estime qu’au nom de la protection contre les pillards dont ont bénéficié les bergers de Nabal de la part de ses combattants, il est légitime de lui demander une contribution volontaire afin de nourrir sa troupe.

 

En envoyant ses émissaires, David leur confie un message de paix : Vous le saluerez en mon nom, et vous lui parlerez ainsi : Pour la vie sois en paix, et que la paix soit avec ta maison et tout ce qui t’appartient ! (v. 5-6). Il rappelle sa bienveillance à l’égard des bergers et des troupeaux de Nabal et invite celui-ci à partager sa joie en faisant un don.

 

Mais Nabal répond par le dédain, feint d’ignorer qui est David et le range au rang d’un esclave en fuite. En entendant le rapport de ses émissaires, David est saisi de colère et décrète l’extermination parce que Nabal a été ingrat et a rendu le mal pour le bien (v. 21). Sa réaction est pourtant extrême – l’anéantissement de Nabal et de toute sa maison (v. 22) – alors qu’il aurait pu envisager une razzia pour se payer luimême d’une partie des biens de Nabal. En quoi avait-il besoin de tuer ? Son amour propre aurait-il été blessé ? L’escalade est bien réelle et l’histoire allait se régler dans un bain de sang !

 

 

Une ambassadrice de paix

 DAVID ET ABIGAIL, ILLUSTRATION DE JULIUS
SCHNORR VON CAROLSFELD.
PUBLIÉE DANS « DIE BIBEL IN BILDERN »(1860

David-AbigailHeureusement, l’un des serviteurs a saisi le danger et informe Abigaïl, femme de Nabal, de la situation. Il lui expose la bienveillance de David et de ses troupes à l’égard des bergers et l’aver tit du danger qu’ils courent tous.

 

Celle que l’Ecriture nous présente comme une femme de bon sens et belle de figure réagit immédiatement et s’implique personnellement pour chercher à apaiser le conflit. Elle fait préparer un cadeau – qui équivaut probablement au don sollicité par David – et va à la rencontre de David et de ses combattants pour les arrêter avant qu’ils ne mettent leur plan de vengeance à exécution.

 

En allant au-devant d’une troupe excitée par la soif de vengeance et décidée à donner libre cours à la colère meurtrière, elle prend un risque sérieux, surtout en tant que femme.

 

Elle a aussi préparé les gestes et les mots qui peuvent calmer la colère de David. Elle descend de sa monture, elle se prosterne et dit : À moi la faute (v. 24). Alors qu’elle aurait pu se désolidariser et espérer échapper à l’extermination au cas où sa démarche n’aurait pas été couronnée de succès, elle s’accuse seule de la faute ! Est-ce que la femme « belle de figure » a aussi compté sur son pouvoir de séduction ? Le texte ne nous en dit rien, sinon que David la prendra pour femme à la mort de Nabal.

 

Ayant ainsi arrêté la troupe dans son élan sanguinaire, Abigaïl interpelle David et l’invite à la réflexion : c’est l’Éternel qui t’a empêché de répandre le sang et qui a retenu ta main (v. 26). Elle le rend attentif aux conséquences futures qu’aurait la vengeance : Lorsque l’Éternel […] t’aura établi chef sur Israël, mon seigneur n’aura ni remords ni souffrance de coeur pour avoir répandu le sang inutilement et pour s’être vengé lui-même. Ses paroles s’appuient sur sa bonne connaissance de Dieu et des promesses dont David est l’objet (v. 28-31) !

 

 

La colère arrêtée

 

Par la démarche d’Abigaïl, son geste, son attitude, ses paroles, David a l’occasion de prendre du recul, de recentrer sa pensée sur Dieu et les promesses dont il est le bénéficiaire. Il réalise qu’il y avait une autre solution que la vengeance aveugle.

 

Il bénit Dieu de lui avoir envoyé Abigaïl et il loue le bon sens de celle qui l’a arrêté dans sa colère (v. 32-33). En conclusion, il se déclare satisfait de l’offre de paix et accepte les dons apportés par Abigaïl.

 

 

Dieu fait justice

 

On aurait pu imaginer que le conflit avait trouvé son épilogue… Mais le fautif, Nabal, celui qui a été à l’origine de la vexation par son attitude ingrate et orgueilleuse ne devait-il pas aussi réaliser sa responsabilité ? N’avait-il rien à apprendre, ne devait-il pas changer d’attitude ?

 

À l’heure où sa femme plaidait l’apaisement en faisant tout ce qui était en son pouvoir pour arrêter la main vengeresse de David et de ses hommes, Nabal était en train de festoyer et de s’enivrer. À aucun moment il ne s’est soucié des conséquences de sa dureté envers la délégation que David avait envoyée vers lui. Il ne s’est pas préoccupé de plaire ou de déplaire. Il n’a que faire des sentiments d’autrui.

 

Le voyant incapable d’entendre et de comprendre le compte-rendu de la situation qui vient d’être vécue, Abigaïl le laisse cuver son vin. Elle ne pourra parler à Nabal qu’au matin, lorsqu’il aura retrouvé ses esprits.

 

Mais à l’énoncé de ce qui s’était passé, Nabal est saisi par l’énormité du danger qui le menaçait, il semble réaliser la gravité de son attitude envers David. L’effet psychologique est tel qu’il est terrassé par une attaque dont il ne se relèvera pas. L’issue sera dramatique pour lui ; son agonie durera dix jours. Le texte dit formellement que c’est Dieu qui a frappé Nabal et a mis fin à sa vie.

 

 

Quelques réflexions à notre usage

 

 

Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser et apprendre à mener une vie conforme à la volonté de Dieu.4 Nous sommes donc invités à discerner quels principes nous pouvons tirer de l’épisode du conflit entre David et Nabal :

 

• Notre attitude amicale et respectueuse envers autrui ne nous garantit pas une attitude bienveillante et une réponse positive de la part de nos interlocuteurs.

 

• Veillons, nous aussi, à la manière dont nous recevons les demandes d’autrui, sentons-nous redevables des bienfaits dont nous avons peut-être bénéficié. Avant de répondre, il nous sera utile de bien écouter et de chercher à comprendre la demande. Estce que nous pouvons nous mettre un instant à la place de l’autre ?

 

• Nous devons veiller, en cas de réponse vexante, à réfléchir soigneusement à notre manière de réagir. Ne nous laissons pas submerger par la contrariété et prenons conscience que notre ego a tendance à se réveiller très vite. Posons-nous la question si notre réaction n’est pas disproportionnée. D’ailleurs, le Seigneur a prescrit à ses disciples de pardonner jusqu’à 490 fois – soit toujours – l’affront ou l’injustice dont nous serions victimes !

 

• Quelle bénédiction s’il se trouve un « ouvrier de paix » dans notre entourage et dont le conseil pourra nous aider à modérer notre réaction et à trouver l’attitude juste face à telle ou telle injustice ! Veillons à prendre conseil auprès de frères ou soeurs reconnus pour leur sagesse.

 

• Nous-mêmes, pourrions-nous être de ceux qui oeuvrent pour la paix ? Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu !5

 

• Quand notre demande de réparation – que nous aurons mûrement réfléchie – suscite une proposition alternative, sommes-nous prêts à la considérer ou maintenons-nous les exigences que nous avions arrêtées ? Sommes-nous convaincus qu’il vaut mieux négocier plutôt que s’affronter ?

 

• Ultimement, la Bible nous invite à abandonner nos exigences et à nous confier à Dieu. C’est lui, le Dieu de justice, qui est le seul à pouvoir exercer une sentence où aucune mauvaise appréciation ou attitude ne s’introduit. Il est le vengeur et le consolateur. Sachons donc lui confier notre cause.6

 

M.R.

 


NOTES

 

1. 1 S 25.1-39

 

2. Nouveau dictionnaire biblique, Emmaüs, 1992

 

3. 1 S 16.13

 

4. 2 Tm 3.16

 

5. Mt 5.9

 

6. 2 Th 1.6 ; Rm 12.17-21 ; Jr 11.20