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Prévention de conflits

 

 

Par Marie-Christine Fave

M.C.Fave

 

 

Si on avait su… Si on avait pensé à… On a laissé traîner… On pouvait se douter que cela susciterait des tensions… Maintenant, c’est la crise ! Que de fois, on se rend compte après coup qu’une situation aurait pu être gérée différemment et peut-être ne pas se transformer en problème…

 

 

 

 

 

dialogue1Servir : Dans votre expérience de gestion de conflits dans l’Église, avez-vous observé des éléments déclencheurs de conflits : dans les domaines humain, spirituel ?

 

Pierre : Le conflit a rarement une seule origine. Il arrive suite à des situations non réglées, des problèmes non résolus. Une des difficultés est de déterminer la cause première du conflit.

 

 

Éléments déclencheurs, domaine humain

 

Pierre : Manque de préparation et de concertation, fatigue, non prise en compte des différentes personnalités. Certaines associations de personnes ne sont tout simplement pas viables.

 

Colin : 99 % des conflits sont des problèmes de personnes : égoïsme, orgueil, intérêts personnels… Beaucoup souffrent de blessures du passé ou ont besoin de reconnaissance, d’amour, d’appréciation. Cela conduit à des attitudes négatives : désir de dominer, rigidité ou légalisme, résistance aux changements. Il y a aussi de nombreux problèmes dus à de petits frottements, des paroles, des critiques. Si on ne les règle pas, l’amertume s’installe et…

 

Élisabeth : Naturellement, nous aurions tendance à proposer à l’autre de se remettre en question et de travailler sur lui. Mais osons regarder la façon dont nous réagissons. En effet, apprendre à mieux nous connaître, à comprendre ce qui nous affecte réellement, nous permet de trouver une manière de fonctionner avec les autres où l’on se respecte mutuellement. Sans connaissance de moi-même, je ne suis pas en capacité d’expliquer pourquoi je suis tellement triste, irrité, ou gêné par le geste ou la réaction de l’autre.

 

 

Éléments déclencheurs, domaine spirituel

 

Pierre : J’en citerai quatre :

 

• La première réponse est simple : le péché ! Mais c’est quand même la réalité. Les conflits ayant uniquement pour origine une question doctrinale sont relativement rares au niveau d’une union d’Églises.

 

• Une conception de l’Église parfaite, sans problème, et où la peur de la différence pousse à maintenir la paix à tout prix sans jamais aborder les points de désaccord.

 

• Une revendication de l’autorité qui devient autoritarisme.

 

• L’équilibre d’un collège d’Anciens ou d’Église peut se trouver modifié par l’arrivée de nouveaux membres avec d’autres fonctionnements ou une autre vision.

 

Clarifier la façon de prendre les décisions :

 

Préciser qui est concerné par le débat et qui est chargé de trancher au final. Faire une distinction entre le moment d’expression des idées et celui de la prise de décision. Cela permet à chacun de s’exprimer, de réfléchir. Cela peut éviter des sentiments de frustration… par exemple de penser que la décision était déjà prise avant que le débat ait lieu.

 

Élisabeth N.

 

Colin : Les personnes impliquées n’ont pas toujours trouvé ou compris pleinement leurs privilèges et l’épanouissement dans leur relation avec le Seigneur. Ils ne reçoivent pas de Dieu la satisfaction de leurs besoins et donc ils la cherchent auprès des autres ou dans leur « ministère ».

 

dialogue1Servir : À votre avis, qu’est-ce qui aurait pu être fait pour éviter le conflit ?

 

Pierre : Je donnerai quatre pistes :

• Une meilleure communication

• Des documents qui permettent de définir un cadre. C’est dans les limites données par les textes fondateurs que la différence peut être accueillie.

• Accepter la différence de l’autre commence par une bonne connaissance de soi.

• Reconnaître que même les faits que l’on croit être objectifs peuvent être perçus de manière différente par notre collègue.

• Il faut parler du conflit quand il n’y a pas de conflits !

• Il faut s’entraîner, se poser des questions :  

• Quels sont les processus décisionnels mis en place ?  

• Que se passe-t-il quand nous ne sommes pas d’accord ?

• Sommes-nous capables de discuter à propos de nos différences ?  

• En cas de conflit, que fait-on ?

• À partir de quand fait-on appel à une personne extérieure ? Ne pas vouloir reconnaître un conflit latent ne fait qu’accentuer la crise qu’il va engendrer.

 

dialogue1Servir : Dans certains cas pensezvous que le conflit était prévisible ? Inévitable ?

 

Colin : Prévisible ? Dans certains cas sûrement. D’ailleurs il faudrait se préparer pour bien gérer les conflits avec douceur et patience. Cependant, tout n’est pas prévisible, car dans des circonstances difficiles, des épreuves, la fatigue ou le stress peuvent en être à l’origine. Mieux on se connaît les uns les autres et plus cela devient prévisible.

 

colereInévitable ? D’un côté on peut éviter les conflits par une attitude d’amour et de douceur, de l’autre côté on peut aussi dire qu’ils sont inévitables à cause de l’état imparfait de nos coeurs. Il faut constamment s’encourager pour éviter les problèmes, mais la perfection est pour le ciel.

 

Pierre : Je ne dirai pas qu’un conflit est inéluctable si l’on intervient assez tôt.

 

dialogue1Servir : Quels conseils donneriezvous : avant, pendant et après le conflit ?

 

Élisabeth : Ce n’est pas pendant le « coup de stress », durant le conflit, que nous pouvons prendre le recul nécessaire pour acquérir de nouvelles habitudes. Nos comportements nous entraînent régulièrement un pas plus (ou trop) loin dans le conflit, et revenir en arrière est bien difficile. Jeanne FARMER2 explique que dans un conflit, par peur, une partie de notre cerveau – siège des réflexes de protection – se met en route et rend plus difficile une réflexion sereine. C’est bien pour cela que les conflits se préviennent, exigeant un « entraînement ».

 

Colin : Avant le conflit :

• Donner un bon enseignement sur la gestion des conflits.

• Réaliser qu’il y a un ennemi à la source et pas forcément la personne en face.

• Aider les gens à être réalistes.

• Donner des conseils là où l’on prévoit des problèmes potentiels.

• Veiller à ne négliger personne dans l’Église.

 

Pendant le conflit :

• Intervenir rapidement avec douceur et patience pour établir une réconciliation sur des bases bibliques.

• Mettre en lumière les points de désaccord d’une manière paisible. Si nécessaire, passer vers une discipline avec amour et fermeté.

 

Après le conflit :

• Continuer à accompagner les protagonistes pour éviter les résurgences.

 

Et bien sûr, comme le rappelle Pierre, que ce soit avant, pendant ou après le conflit : prier !

 

dialogue1Servir : Au fil des années, avez-vous évolué dans votre façon de considérer ou de gérer les situations de conflit ?

 

Colin : Je ne constate pas vraiment d’évolution. Toutefois, l’expérience permet de mieux gérer. On comprend aussi que le conflit peut être un tremplin vers une maturité accrue.

 

Pierre : Oui, je l’espère ! J’ai suivi un séminaire du RESAM3 sur le sujet ainsi qu’une formation à l’Institut des Études Politiques d’Aix-en-Provence. Il s’agit d’un certificat sur la gestion des conflits et la médiation (120 h de cours).

Un des aspects importants de la médiation consiste à adopter un point de vue foncièrement différent du conflit. En bons Français, et à la différence des Anglo-saxons, notre vision du conflit est foncièrement négative. Or, il est possible de considérer le conflit comme une occasion de grandir, de changer. Pourquoi vouloir à tout prix chercher un coupable qu’il va falloir abattre, tout faire pour ne pas perdre la face ? Le conflit, au moins à son stade primaire, est une opportunité et non une menace ou un danger. Le conflit est l’occasion d’exprimer son ressenti et d’écouter l’autre. La solution viendra de la prise en compte des besoins de chacun. Lorsque le conflit ne trouve pas de solution, il affaiblit les personnes au travers d’une spirale négative qui engendre des sentiments de plus en plus violents. Mais cette spirale peut être inversée si les personnes concernées peuvent s’écouter et considérer leurs besoins réciproques. La prise en compte de l’objet du conflit est aussi importante que la relation.

 

Propos recueillis par Marie Christine FAVE

 

Formation « Vivre autrement »

 

de l’association EsPass’vie (voir www.espassvie.com/)

 

Cette formation permet de faire le point sur : la différence entre les faits et notre propre interprétation de ces mêmes faits, sur les sentiments qu’une situation suscite en nous et sur les besoins réels qui sont en jeu.

 


NOTES

 

1. Merci à Élisabeth NUSSBAUMER, à Pierre BARITEAU et à Colin CROW de nous faire part de leurs réflexions sur le sujet. Leurs expériences se situent dans un contexte professionnel pour Élisabeth et dans le contexte de la Commission de Service et de Référence des CAEF (CSR) pour Pierre et Colin, pour le soutien des Églises lors de conflits entre responsables.

 

2. Je comme Unique, Jeanne FARMER, p. 14

 

3. RESAM : Réseau de soutien au ministère (www.resam.fr/)