Pourquoi Dieu permet-il les catastrophes ?

 

 

Par Reynald Kozycki

 

 

 

 

 

 

 

 

Face aux catastrophes, les non croyants se limitent souvent à des causes météorologiques ou simplement à de mauvais concours de circonstances. Pour le chrétien, sans exclure les causes naturelles, il est conscient de la souveraineté de Dieu, même si les raisons précises lui échappent.

 

 

Dans l’Evangile de Luc (13.1-5), Jésus décrit deux types de « catastrophes » : l’un en rapport avec la violence de Pilate et l’autre en rapport avec l’effondrement d’une tour.

 
Je propose d’élargir un peu et d’en distinguer trois :
 
  1. Des catastrophes où la responsabilité de l’homme n’est pas ou très peu concernée (comme les cataclysmes, ou l’effondrement de cette tour dont parle Jésus…) ;
  2. Les guerres où la responsabilité de l’homme est évidente ;
  3. Les famines où la responsabilité humaine est un peu engagée.

 

 

Quelques catastrophes « naturelles »

 

Ces dernières décennies, plusieurs catastrophes ont marqué l’opinion publique. Par exemple, le tremblement de terre au Pérou en 1970 et ses 66.000 victimes, celui de Spitak en Arménie en 1988 avec 30.000 victimes, le tsunami du 26 décembre 2004 en Asie du Sud-est avec 280.000 morts, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti avec 230.000 morts. Le plus meurtrier au XXe siècle a été le cyclone de Bhola à l’Est du Pakistan en 1970 avec plus de 300.000 victimes et le triste record de ces derniers siècles semble être la crue du Huang He de 1887 en Chine, où 900.000 personnes ont péri. La France, dans une mesure plus limitée heureusement, n’a pas été épargnée. Les deux dernières tempêtes de 1999 et 2010 l’ont rappelé.

 

Depuis l’origine de l’humanité, des catastrophes jalonnent l’histoire. La liste serait longue et fastidieuse. J’en relève une seule supplémentaire, à cause de son impact sur la façon d’analyser ces évènements douloureux. Ce fut le tremblement de terre du 1er novembre 1755, à Lisbonne. Plus de 60.000 personnes ont péri, dont une bonne proportion en se réfugiant dans des églises qui se sont ensuite effondrées. Jusqu’à cette date, dans « l’occident chrétien », Dieu était considéré comme le Maître de l’histoire. Sa réalité apparaissait comme une évidence pour le plus grand nombre. Mais, à partir de Lisbonne 1755 – l’esprit des Lumières aidant -, Voltaire par exemple, dans son célèbre Candide, se plait à tourner en dérision la foi en Dieu. C’est une des premières fois où une explication « scientifique » est donnée. Michel Serres voit dans cet évènement la naissance du scientisme. Cette perception a atteint son point culminant à la fin du XIXe dans le positivisme, et reste profondément ancrée encore aujourd’hui. La mention même de Dieu est quasiment absente dans les médias français lorsque l’on décrit ces catastrophes. Il est vrai que, paradoxalement, sur le lieu des cataclysmes, l’invocation de Dieu est omniprésente.

On compte souvent par dizaines, parfois par centaines de milliers, les victimes de cette première catégorie de catastrophes. Une autre nous place devant des nombres encore plus impressionnants.

 

 

Les « tragédies guerrières »

 

Lorsqu’on totalise le nombre de morts suite aux guerres, on compte, non en milliers, mais souvent en millions. La première guerre mondiale a fait quelques 21 millions de morts, la seconde plus de 56 millions. Le livre noir du communisme, parlait de près de 80 millions de morts suite à la mise en oeuvre de l’idéologie communiste entre 1917 et 19892. Un petit calcul sordide du nombre de victimes nous amènerait probablement à estimer que les tragédies directement liées au comportement humain représenteraient plus des trois quarts des victimes dans le monde.

 

 

Et les famines ?

 

La responsabilité humaine, pour la troisième catégorie de catastrophes, est indirecte. En effet, un minimum de planification et de solidarité suffirait pour limiter les dégâts des famines. Le triste record semble être encore une fois en Chine dans les années 1958-1961 où la Grande famine a fait plus de 20 millions de morts. Dans les années 80, les responsables chinois reconnurent leurs erreurs politiques dans l’origine de cette famine, affirmant qu’elle avait été due, à 70%, à une mauvaise gestion du gouvernement et, à 30%, à des causes naturelles !

 

 

Et Dieu dans tout ça ?

Commençons par donner quelques éléments de réponses en rapport avec les guerres. On peut légitiment se dire : Pourquoi le silence de Dieu ? Pourquoi n’empêche-t-il pas l’homme d’agir ainsi ?

 

Comme pour Auschwitz, le problème de fond n’était pas tellement le silence de Dieu, mais le silence de l’homme3. Si Dieu intervenait à chaque fois pour empêcher l’homme de faire le mal, qu’en conclurions-nous ? Nous finirions par penser que le mal n’est pas le Mal. L’égoïsme, l’orgueil, l’agressivité, la folie des grandeurs… ne seraient à nos yeux que de petits détails. Nous conclurions que le péché n’est pas le Péché, puisque les conséquences ne sont pas graves et n’affectent pas les autres ! Nous aurions donc une vision très édulcorée du mal, alors que pour Dieu, c’est une abomination.

 

Nous pourrions développer un raisonnement proche pour les grandes famines et faire un lien avec l’insouciance et l’égoïsme de certains gouvernements. En revanche, pour ce qui est des catastrophes naturelles, il est plus délicat d’envisager des réponses.

 

 

Des explications aux « cataclysmes » ?

 

A la suite de Voltaire – et nous ajouterions de Lapalisse -, nombre des catastrophes ont des causes purement « naturelles », de plus en plus prévisibles d’ailleurs avec l’arsenal d’outils scientifiques dont nous disposons. Mais au-delà d’une explication un peu brute des causes géologiques ou météorologiques, il est possible d’aller un peu plus loin. Par exemple on peut estimer que ces cataclysmes rappellent que la « nature » ne sera jamais pleinement maîtrisée par l’homme, malgré tous les progrès de la science. L’être humain est une fois de plus placé devant ses limites et sa finitude.

 

Pour aller encore un peu plus loin, nous chercherons des tentatives d’explications à partir des textes bibliques, malgré la suspicion d’un certain nombre de penseurs agnostiques ou athées. Prenons un exemple significatif.

 

 

Job

 

Cet homme de foi a vécu une série de grandes épreuves : tout s’effondre dans sa vie, depuis la perte de ses enfants, de ses biens, de sa santé. Une parenthèse, dans le premier chapitre, décrit un dialogue surprenant entre Dieu et Satan. Ce dernier souligne que la piété de Job est très intéressée : s’il est autant fidèle à Dieu, c’est parce qu’il est comblé. Satan insinue que si on lui ôtait ces bénédictions, sa piété disparaîtrait et, au lieu de louer Dieu, Job le maudirait. Aux chapitres suivants, entre les répliques peu encourageantes de ses amis, Job se pose beaucoup de questions. Il se voit juste dans tout ce qu’il a fait et accuse pratiquement Dieu de s’être trompé. Job reçoit finalement une réponse du Créateur, mais ce dernier ne lui donne aucune explication précise, il ne mentionne pas non plus sa discussion avec Satan… En revanche, il lui pose des questions (Job 38) : « Où étais-tu quand j’ai créé la terre… ». Dieu lui décrit tous les prodiges de cet univers et lui fait comprendre qu’il sait ce qu’il fait, qu’il ne se trompe pas. Cela suffit à Job, qui, après avoir entendu ces paroles, déclare qu’il se repent de son attitude.

 

La Bible est donc prudente dans les explications sur les causes de la souffrance. Les croyants aimeraient des réponses du style : « Dieu permet cela pour châtier telle nation ou pour attirer des personnes à Lui… », mais la réalité est plus complexe. Dieu intervient dans l’histoire, évidemment, mais avec une logique qui nous échappe. Dans son livre Le mal et la croix, Henri Blocher souligne l’aspect très opaque et mystérieux de la souffrance, non seulement à cause de la douleur vécue, mais aussi à cause du manque d’explications claires, rendant l’épreuve encore plus insupportable.

 

Si dans le récit de Job, il n’y a pas d’explications claires qui soient révélées, quelques autres textes bibliques donnent néanmoins des pistes, notamment en rapport avec les cataclysmes.

 

 

Un monde « en travail »

 

Paul écrit : « La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu car la création a été soumise à la vanité non de son plein gré mais à cause de celui qui l’a soumise, avec l’espérance d’être libérée de la servitude et de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Nous savons, que jusqu’à ce jour, la création toute entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement… » (Ro 8.19- 22).

 

Dans ce texte assez énigmatique, Paul parle de la création soumise à la vanité (probablement une forme de malédiction en relation avec le péché de l’homme). Ensuite il parle d’un étrange soupir de la création ? Elle est « en travail » comme pour un enfantement. Quelque chose de nouveau émerge pour laisser la place à une nouvelle création et une nouvelle humanité appelée ici les fils de Dieu. Il se prépare donc comme une grande « mutation » dans l’univers en vue de la nouvelle terre et des nouveaux cieux. Cette souffrance de la création, durant cette phase de transition, engendre certaines catastrophes. Elles sont comme des signes nous rappelant ces vérités.

 

 

Prémices d’une autre catastrophe

 

Un autre élément de réponse nous fait voir les déchaînements de la nature comme les prémices d’une très grande catastrophe à venir que la Bible appelle la manifestation de la colère de Dieu. Les textes apocalyptiques (comme 2 Pierre ou l’Apocalypse) parlent d’un déchaînement d’éléments embrasés (2 Pi 3.10). Chaque catastrophe naturelle pourrait être une sorte d’avertissement en vue de ce qui arrivera un jour…

 

La création prépare, elle aussi, ce moment où elle vivra cette période terrible. Pierre écrit :

« Il est un point que vous ne devez pas ignorer : c’est que devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse comme quelques-uns le croient ; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance. Le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit, en ce jour-là, les cieux passeront avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre avec les oeuvres qu’elle renferme sera consumée » (2 Pi 3).

 

Par écran interposé, nous avons été témoins des images apocalyptiques de vagues qui se sont abattues sur l’Asie du Sud Est en 2004 ou, en janvier 2010, du séisme provoquant un nombre invraisemblable de victimes en Haïti. Ces images ne sont qu’un tout petit aperçu de ce qui arrivera un jour. Tout comme Noé a été divinement averti qu’une catastrophe allait s’abattre sur le monde, aujourd’hui Dieu nous dévoile qu’il y aura, dans les temps à venir, des cataclysmes d’une autre ampleur.

 

 

Hâter l’avènement du Jour de Dieu

 

L’apôtre Pierre est plus préoccupé par la conduite des chrétiens que par des explications détaillées sur les causes des catastrophes. Dans un contexte assez proche, il écrit que le jugement commencera par l’Église, son peuple (1 Pi 4.7). Celui qui comprend ces paroles doit se préparer. Mais comment ?

 

Pierre écrit : « Puisque tout cela est en voie de dissolution, combien votre conduite et votre piété doivent être saintes. Attendez et hâtez l’avènement du jour de Dieu ou les cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés se fondront. Mais, nous attendons, selon sa promesse des nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera. C’est pourquoi, bien-aimés, dans cette attente, efforcez vous d’être trouvés par lui sans tâche et sans défaut, dans la paix » (2 Pi 3.11).

 

Nous devons, nous est-il dit, « hâter l’avènement du jour de Dieu ». Ce Jour est d’ailleurs associé avec les nouveaux cieux, une nouvelle terre, le grand enfantement de l’univers, le retour du Christ et le jugement dernier. Notre attitude semble même avoir une influence sur le moment où cela arrivera. Nous devons, dans cette attente, développer un comportement saint, en nous efforçant d’être trouvés sans tâche, sans défaut et dans la paix (paix avec notre Dieu, mais aussi, en partie, dans les relations avec nos proches).

 

 

Leçons de Sodome et Gomorrhe

 

Jésus se réfère notamment à l’exemple du jugement de Sodome et Gomorrhe pour parler de la période finale de l’histoire . Genèse 19 décrit cet évènement (on constate que, parfois, certaines catastrophes sont la conséquence directe d’une intervention divine, en vue d’un jugement, comme le déluge d’ailleurs). Il est surprenant de noter que Dieu envoie des anges à Sodome pour aller chercher Lot, sa femme et ceux qui veulent bien le suivre. L’ange insiste : « Hâte-toi de t’y réfugier, car je ne puis rien faire jusqu’à ce que tu y sois arrivé» (v.22). Nous pouvons faire une application importante de ce récit. Lors des grands cataclysmes apocalyptiques, Dieu épargnera aussi son peuple. Si ce n’est pas toujours de la mort physique, ce sera, de la mort éternelle.

 

 

Pour conclure

 

Dans le passage de Luc 13 cité en introduction, Jésus parle du sang de ces hommes de Galilée versé par Pilate. Sa réponse en guise d’explication est curieuse : « Pensez-vous que ces Galiléens qui sont morts étaient plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens pour avoir souffert de la sorte ? ». Il répond : « Non, mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même ». Dans un deuxième temps, il évoque l’effondrement de la tour de Siloé et pose la même question et donne la même réponse. Ainsi, sans entrer dans des « explications », Jésus fait de ces catastrophes une sorte de leçon pour nous qui avons échappé jusqu’à ce jour. Le mot repentance renvoie à l’idée suivante : « Prends Dieu au sérieux, change radicalement d’attitude, oriente ta vie dans une réelle communion avec lui et en cherchant ce qui est important à ses yeux ». Nous retrouvons, en partie, l’exhortation de Pierre : « Combien votre piété et votre conduite doivent être saintes ».

 

Alors pourquoi Dieu permet-il les catastrophes ? La Bible ne dévoile pas de réponses évidentes, mais elle laisse entrevoir la grande malédiction sur cet univers et l’attente de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre. Elle dévoile aussi l’échéance de grandes épreuves qui attendent notre monde. En un sens, chaque catastrophe nous en rappelle l’imminence. Au-delà des explications, Jésus nous invite à un changement radical qui nous ouvre à son royaume, sa personne et à la vie qu’il est venu apporter. Un refrain revient dans le Ps 95 et l’épître aux Hébreux : « Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs ».

 

Reynald Kozycki

 


NOTES

 

1. Cet article est une adaptation d’une prédication donnée à l’Eglise CAEF de Palaiseau.
 
 
2. Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression par un collectif d’universitaires, Éditions Robert Laffont, 1997. Voir un compte-rendu et des polémiques autour de ce livre sur Wikipedia.
 
 
3. Giuseppe Laras, président des rabbins d’Italie, au micro de Radio Vatican suite à la visite de Benoît XVI à Auschwitz le 28 mai 2006 : « Avant de s’interroger sur le silence de Dieu, il faut s’interroger sur le silence de l’homme : où était l’homme à Auschwitz ? Au fond, l’homme est une créature qui porte imprimée l’image de Dieu. C’est une créature dotée de liberté. Nous devons sûrement considérer que l’homme n’a pas exercé de façon digne le pouvoir de la liberté qui lui a été donnée par Dieu ».
 
 
4. Voir Luc 17.28-33