Être crucifié avec Christ

 palais-justice

Par Thierry Seewald

seewald

 

L’expression « crucifié avec Christ » apparaît deux fois dans les épîtres de Paul, en Romains 6.6 et Galates 2.20. Elle fait partie d’un ensemble d’expressions que Paul utilise pour parler d’une mort du croyant en relation avec celle de Christ. Quels sont son sens et sa portée ?

 

On trouve des formulations proches. Par exemple : ceux qui appartiennent à Christ ont crucifié la chair (Ga 5.24) et (par Christ) le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde (Ga 6.14). D’autres expressions peuvent être rapprochées de la nôtre : « être mort au péché », « avoir été enseveli avec Christ par notre baptême », « notre vieil homme est mort », « s’être dépouillé du vieil homme » par exemple, dont plusieurs apparaissent en Romains 6. Ces expressions formulent les différents aspects d’une même vérité : par la foi, nous sommes morts avec le Christ, et de cette union avec lui découlent certaines conséquences dans notre vie.

 

Lorsque nous parlons de la crucifixion de Christ, nous parlons de l’oeuvre objective de Jésus-Christ pour notre salut, ce qu’il a accompli sur la croix. La « crucifixion avec Christ » fait partie de la face subjective du salut, ce que la mort et la résurrection de Christ accomplissent dans la vie d’une personne lorsqu’elle est unie à lui par la foi à travers l’oeuvre de l’Esprit.

 

Il y a deux manières principales de comprendre notre expression : juridique ou ontologique (existentielle). La première compréhension est présentée dans les notes de la Bible du Semeur1, notamment dans les commentaires concernant Galates 2.19-21 : Christ mon représentant juridique a été condamné à ma place, je suis donc acquitté. Christ est mort crucifié, juridiquement je peux me considérer crucifié, mort. Juridiquement, je ne suis plus rien en mon nom propre, mais j’ai acquis une nouvelle identité « par » et « en » Christ2.

 

marteauOn trouve la compréhension ontologique dans les ouvrages de Neil ANDERSON et de manière plutôt extrême dans ceux de Watchman NEE, par exemple. Pour eux, ces versets parlent de l’être même du croyant qui a changé. Le vieil homme, c’est-à-dire le centre de la personnalité qui est spirituellement mort, le « moi » qui s’oppose à Dieu, meurt réellement à la conversion. Et de manière réelle, il est une nouvelle créature, spirituellement vivante, avec une nouvelle nature, parce que Christ, par l’Esprit, a fait sa demeure en lui.

 

La limite d’une compréhension uniquement juridique qui ne voit pas de changement existentiel dans ces passages est qu’elle oblige à interpréter comme des réalités que le chrétien doit mettre en oeuvre dans sa vie des affirmations qui apparaissent au passé dans le texte biblique. Ainsi, dans les commentaires de la Bible du Semeur concernant Galates 2.20 : ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi et Galates 5.24, ceux qui appartiennent au Christ ont crucifié la chair, il est dit : « il est appelé à le vivre concrètement, maintenant », « nous avons été appelés à rompre volontairement… avec les passions et désirs de l’homme charnel ».

 

Le théologien John STOTT3, qui a lui-même une compréhension plutôt juridique, calviniste, du salut, formule de fort belle manière, une compréhension juste et équilibrée de l’expression dans son commentaire sur Galates 2.19-20 : « La justification n’est nullement une fiction légale, par laquelle le statut de l’homme change, alors que son coeur demeure inchangé. Selon le verset 17, nous sommes “déclarés justes dans l’union avec Christ”. En d’autres termes, notre justification a lieu quand nous sommes unis au Christ par la foi. Or, quiconque est uni au Christ n’est plus la même personne. Au contraire, il est changé. Ce n’est pas seulement son statut devant Dieu qui est changé. C’est lui-même qui est changé – de façon radicale et permanente ».

 

Par cette crucifixion avec Christ, nous sommes associés à Christ, qui a porté nos péchés sur la croix, et nos fautes sont pardonnées. Par la mort de notre vieil homme avec lui, nous sommes morts au péché, il n’a plus de pouvoir sur nous (Rm 6.7). Nous mourons aussi par rapport à la loi, ce qui, pour Paul, nous libère aussi du pouvoir du péché sur nous. Et notre chair crucifiée n’a, elle non plus, plus de pouvoir sur nous.

 

De même que lorsque Christ est mort puis ressuscité, il est resté une même personne, cette mort avec Christ n’est pas la fin de notre personne, mais la fin de notre ancienne manière de vivre, héritée de nos pères (1 P 1.18), héritée d’Adam. Lorsque nous sommes baptisés dans la mort de Christ (Rm 6.3), nous mourons à notre humanité ancienne, descendante d’Adam.

 

Tout cela concerne l’« oeuvre négative » de l’Esprit en nous, la mort à notre ancienne vie. Mais, heureusement, la Bonne Nouvelle ne s’arrête pas au fait que nous sommes morts au péché, crucifiés avec Christ. De même que nous nous sommes dépouillés du vieil homme, nous avons aussi revêtu l’homme nouveau (Col 3.9-10), ou « revêtu Christ » (Ga 3.27)4. Délivrés du pouvoir des ténèbres, nous sommes dans le royaume du Fils bien-aimé (Col 1.13). Morts avec Christ sur la croix, nous sommes ressuscités avec lui. Par ces morts (au péché, à la loi…), nous ne sommes plus en Adam (descendants d’Adam), mais nous devenons membres d’une humanité nouvelle dont Jésus est l’origine (nous sommes en Christ). Il s’agit là de l’« oeuvre positive » de l’Esprit en nous, notre vie nouvelle qui commence à notre conversion. Et à chacun des aspects négatifs que nous avons vus, liés à la crucifixion et la mort de Christ, correspond un aspect positif lié à sa résurrection. Ainsi, libérés du péché, nous sommes esclaves de la justice, libérés de l’esclavage du péché, nous sommes esclaves de Dieu – un esclavage choisi –, morts pour la loi, nous sommes vivants par l’Esprit et nous devons marcher par lui…5 Par l’Esprit nous pouvons et devons faire mourir tout ce qui relève du vieil homme et de la chair (Rm 8.13).

 

Si, dans cet article, à travers l’expression « crucifié avec Christ », nous nous sommes arrêtés à l’oeuvre négative, celle-ci ne prend tout son sens que par l’oeuvre positive, la vie nouvelle, éternelle et notre marche en nouveauté de vie, par l’Esprit. Car si Christ n’était pas ressuscité, il n’y aurait pas de Bonne Nouvelle, la prédication de celle-ci serait vaine, ainsi que notre foi ; nous serions encore dans notre péché et nous serions les plus malheureux des hommes (cf. 1 Co 15.14- 19). Mais Christ est bel et bien ressuscité !

 

T.S.


 

NOTES

 

1. Bible d’Étude Semeur 2000, copyright Société Biblique Internationale.

 

2. Bien que la formulation soit de notre fait, la répétition insistante des termes « juridique » ou « juridiquement » provient des notes de la Bible du Semeur.

 

3. John STOTT, Appelé à la Liberté, le message de l’Épître aux Galates, Éditions Emmaüs, 1996.

 

4. Le passage parallèle d’Éphésiens 4.22-24, qui parle de devoir se dépouiller du vieil homme et revêtir l’homme nouveau comme d’une démarche active que le chrétien doit mettre en oeuvre dans sa vie, souligne que l’oeuvre initiale commencée par l’Esprit lors de la justification et la nouvelle naissance doit se poursuivre et s’approfondir par la sanctification tout au long de la vie du croyant.

 

5. Pour toutes les affirmations de ce texte sans références bibliques, voir notamment Rm 6-7.