Terre à vendre

 

 

Par François-Jean Martin

 

 

 

 

 

 

 

1Les Coréens à Madagascar, les Saoudiens au Soudan : les acheteurs se ruent vers les pays du Sud pour y produire leurs aliments ou des agrocarburants.

 

 

Quand j’ai écrit mon livre sur l’éthique biblique de l’écologie, il y a un an et demi, cette question ne faisait pas la une des médias, seuls les milieux autorisés commençaient à en parler. Aujourd’hui, on prend conscience que le rapport à la terre est effectivement sur le devant de la scène2.

 

 
C’est un jeu planétaire qui devient indécent quand un milliard de personnes souffrent de la faim. En effet, un peu partout dans le monde, des États, mais aussi de grandes entreprises3 et des fonds d’investissement, se mettent à acheter de la terre, des milliers, voire des centaines de milliers d’hectares, en Afrique et en Asie. Pour des acheteurs comme la Chine, il s’agit d’un réflexe de survie face à une démographie importante et à une urbanisation et une industrialisation à marche forcée qui ont entraîné de nombreux dégâts environnementaux comme la déforestation, l’érosion des sols et la pénurie d’eau. On peut penser qu’une telle démarche est préférable à des conflits ouverts comme ceux de l’Irak, bien qu’ils puissent en entraîner indirectement.
 
Mais que dire de l’action des grandes entreprises comme Daewoo et des fonds d’investissement ? Ainsi au Bénin4, riche d’une agriculture paysanne vivrière et dynamique qui fait vivre plus de la moitié de la population dans de petites fermes de moins de 5 hectares, des hommes d’affaires liés aux autorités locales et au gouvernement introduisent la culture du « jatropha » pour la fabrication de biodiesel. Ils rêvent d’être les pétroliers de demain. C’est déjà le cas de plusieurs pays qui subissent de fortes déforestations et la perte des cultures vivrières pour produire des agrocarburants. Cela cause des ravages non seulement environnementaux, mais aussi socio-économiques par un exode rural important.
 
Souvenez-vous des émeutes de la faim, il y a un an, dans 38 pays. C’est un paradoxe cruel quand on sait, selon le Comité catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD) que, sur le milliard d’êtres humains souffrant de la faim, 70 % sont des paysans.
 
La conjonction des crises alimentaire et financière a transformé les terres agricoles en un nouvel actif stratégique. Dans de nombreux endroits du monde, les prix alimentaires sont élevés et les prix des terres sont faibles. Voici venu le temps d’une nouvelle ruée vers « l’or vert ». On ne semble guère tirer de leçons de l’expérience de la ruée vers le coton. Non seulement il a ruiné pour des générations de très nombreuses familles, mais il a aussi appauvri les sols. Entre 1992 et 2002, le prix des engrais a triplé, tandis que le cours du coton a chuté de moitié.
Au travers de l’emploi d’OGM, la dépendance à l’égard des semenciers comme Monsanto s’est accrue. Or ces cultures sont destinées au bétail ou aux besoins de l’industrie ; elles aggravent par là, le problème de la faim et de la malnutrition.
 
L’éthique biblique de l’écologie développe justement le rapport à la terre selon la Bible. Elle reste, pour nous protestants, l’autorité en matière de foi et de vie. Plus que jamais, elle nous propose des principes forts et des valeurs qui découlent de notre foi en Jésus- Christ et que nos sociétés ont besoin d’entendre.
 
L’Église doit s’engager pour permettre une protection financière et juridique des paysans de ces pays dont les droits sont niés, encourager les mouvements de solidarité (communautés paysannes, coopératives, micro-entreprises, micro-crédits). Pour cela, il faut aussi encourager la démocratie, seule garante de progrès possibles, en particulier au travers de l’éducation, et qui peut permettre une régulation étatique.
 
Notre pays a choisi, il y a plus de deux siècles, une belle devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ces valeurs pourraient être les objectifs de nos Églises, car elles découlent de l’oeuvre du Christ-Jésus dans une personne, une famille, une société. Elles sont bien au centre de l’éthique biblique de l’écologie, c’est-à-dire de l’éthique biblique du village planétaire. C’est bien à cela que Dieu nous appelle en nous poussant à travailler au bien de la ville. (Jr 29.1-14)
 
 
François-Jean Martin
 
 

NOTES

 

 

1. Ce texte que j’ai écrit dans une salle d’aéroport en attendant une correspondance pour Madagascar, a été lu en avril 2009 lors de la présentation par les autorités catalanes du livre qu’ils avaient demandé aux Églises évangéliques sur l’éthique protestante des sujets de société. On m’avait demandé d’y souligner ce qui avait évolué de façon nette depuis que j’avais écrit mon livre en 2007 pour le congrès évangélique espagnol. On aurait pu aborder plusieurs points, en particulier sur ma spécialité qui est le réchauffement climatique et ses répercussions sur la biodiversité, mais il me semble que ce qui est le plus fort aujourd’hui est la question de la propriété de la terre. Or justement c’est l’axe principal de mon livre.
 
 
2. En effet, à toutes les périodes, la possession de la terre a été un enjeu vital, source de beaucoup de conflits. Proche de nous, la théologie de la libération est née en Amérique du Sud dans un contexte où l’on trouve un petit nombre de possédants de vastes latifundia et un très grand nombre de paysans exclus du sol.
 
 
3. J’ai écrit cet article durant un de mes voyages de travail à Madagascar où le groupe coréen Daewoo veut louer pour 99 ans, 1,3 million d’hectares, près de la moitié de la superficie aujourd’hui cultivée dans l’île. En février 2009, les émeutes entre les partisans du président Ravalomanana et du maire Rajoelina n’étaient pas dues qu’à la rivalité entre les deux hommes, mais aussi à la réaction des paysans contre ce projet.
 
 
4. J’ai choisi le Bénin, car il est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à avoir échappé aux émeutes de la faim. Bien qu’il ne subisse pas les mêmes fléaux naturels que ses voisins et qu’il soit auto-suffisant en cultures vivrières, il n’en demeure pas moins l’enjeu de pressions importantes.