Convictions et tolérance

 

Par Marie-Christine Fave

 

 

À chacun sa vie, son idéal, ses rêves, ses problèmes… Ces chacun, nous en sommes bien friands. Peut-être est-ce une façon de courir après un vent de liberté, loin des stéréotypes ? Une manière de reconnaître que j’existe, d’affirmer ma personnalité dans une société anonyme ? Vivre et laisser vivre… On choisit, on prend, on laisse, on zappe… Chacun construit ses opinions, ses valeurs… en partie en fonction de ce qu’il ressent. Et on entend souvent : « À chacun sa vérité… Il faut être tolérant. »

 

 
 
 

Il faut être tolérant !

 
Un refrain tellement à la mode qu’on ne se rend plus compte du paradoxe : la tolérance côtoie l’obligation « il faut ». Un hebdomadaire constatait, dans un tout autre domaine que le religieux, que « la tolérance se pratique à distance ». Il est plus aisé d’être tolérant de façon abstraite que dans une situation qui porte à conséquence. Nous ne sommes peut-être pas aussi tolérants que nous aimons le prétendre ! Nous avons probablement tous du chemin à parcourir dans le respect de l’autre, de ses manières de penser, d’agir.
 
Ce qui laisse toutefois les questions suivantes : Peut-on tout tolérer ? Doiton tout tolérer ? Où placer les limites ? Quand la tolérance risque-t-elle de devenir de l’indifférence ?
 
 

Être tolérant signifie-t-il ne plus avoir de convictions ?

 
« Tu as trouvé ta voie, c’est bien pour ta vie. C’est ta vérité », affirme une amie à une jeune infirmière. « Mais, réplique celle-ci, si je ne croyais pas que c’est la seule vérité, c’est que je ne serais pas vraiment convaincue. Si je crois que Dieu existe, je crois qu’il est le même pour tous les hommes. » Cette réponse pleine de bon sens peut surprendre des personnes habituées à une ambiance d’incertitude dans notre société. Et la crainte que quelqu’un passe en un clin d’oeil d’un « Je suis convaincu » à un « Vous devez croire et agir comme moi », amène certains à développer une méfiance par rapport aux convictions. C’est comme si certains allumaient un signal d’alarme dès qu’ils rencontrent une personne qui a de fortes convictions. Alors peuvent venir des réflexions telles que : « Tu n’es pas tolérant. Ce que tu penses est bien pour toi, mais ne m’impose rien. » Ce qui peut sousentendre : « Ne me dis rien ! » En fait, on oublie parfois cette distinction : les convictions – en tant qu’idées, croyances – nous concernent, nous, tandis que la tolérance intervient dans la relation avec le prochain. Ainsi, ce n’est pas le fait d’avoir des convictions, ni même d’y être attaché qui est en cause, mais bien notre attitude vis-à-vis de celui qui pense différemment.
 
Le chapitre 4 de l’évangile selon Jean rapporte le dialogue entre Jésus-Christ et une femme samaritaine. Quand les disciples arrivèrent, ils furent étonnés de ce qu’il parlait avec une femme (v. 27). La femme elle aussi dit à Jésus : Comment toi qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une Samaritaine ? (v. 9) Jésus ne s’est pas laissé enfermer par les préjugés et les habitudes sociales de l’époque.
 
Quand la Samaritaine amène la conversation vers un sujet délicat, Jésus prend une position claire : Le salut vient des Juifs (v. 22). La vérité n’est pas amoindrie, même si elle peut déranger l’interlocuteur. Cependant, Jésus ne rentre pas dans une polémique. Il oriente ses propos vers l’annonce de la Bonne Nouvelle offerte aussi à la Samaritaine.
 
 

Qu’est-ce qui produit l’intolérance ?

 
 
Les tensions ne datent pas d’aujourd’hui… N’était-ce pas déjà le cas pour Caïn et Abel ? Le premier meurtre de l’humanité se déroule autour d’une question religieuse : les offrandes apportées à Dieu par chacun d’eux. Cependant, le récit relève l’irritation, la jalousie de Caïn et le manque de maîtrise de soi, malgré l’avertissement de Dieu de dominer sur le péché. C’est bien Caïn qui a un problème.
 

Qu’est-ce qui produit l’intolérance ?

 

Examinons deux axes de réflexion :

 

■ Des réactions humaines

 
Préjugés vis-à-vis de celui qui est différent, désir de dominer ou de s’affirmer, insécurité, crainte d’être remis en question, recherche d’identité… constituent tout un assortiment de ressorts susceptibles de déclencher de l’intolérance. Sans oublier un phénomène de réactions en chaîne. En effet, l’intolérance engendre l’intolérance. L’évangile selon Luc, au chapitre 9, versets 51 à 56, donne un exemple d’intolérance consécutive à une autre intolérance :
 
• Première intolérance d’ordre ethnique et religieux : les Samaritains ne reçoivent pas Jésus parce qu’il se dirige vers Jérusalem (v. 53). • « À cette vue… » Deuxième intolérance : réaction de la part de Jacques et Jean (v. 54).
 
• L’intolérance est stoppée par Jésus (v. 55) qui les reprend sévèrement, et leur explique son objectif et sa mission : « … non pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver. » (v. 56)
 
« Et ils allèrent dans un autre village. » Jésus respecte le choix des Samaritains.
 

 

■ Une compréhension erronée de la foi

 
 
« Il faut rester modéré. Pas trop de religion, de peur de devenir fanatique », entend-on parfois. En fait, le fanatisme est moins un excès de religion qu’une caricature de la foi. Ne craignons pas un « trop de foi ». Les apôtres avaient demandé à Jésus : « Augmente-nous la foi. » (Lc 17.5) Je ne pense pas qu’on puisse avoir trop de confiance en Dieu. Cependant, veillons à ce que notre foi soit bien placée et ne nous trompons pas d’objectifs. « Car, en Christ-Jésus, ce qui a de la valeur, ce n’est ni la circoncision ni l’incirconcision, mais la foi qui est agissante par l’amour. » (Ga 5.6)
 

 

 

Redresser avec douceur les contradicteurs

 
 
C’est la recommandation de Paul pour le serviteur du Seigneur dans 2 Timothée 2.24 à 25. Gardons à la fois le souci de la vérité et celui de l’amour. Être tolérant, c’est-à-dire respecter l’autre dans sa personne, ses choix, ne signifie pas nécessairement se taire ou approuver toutes les convictions de notre prochain. On se rappelle l’exhortation de Paul à Timothée : « Prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non, convaincs, reprends, exhorte, avec toute patience et en instruisant. » (2 Tm 4.2)
 
 
En conclusion, tenir ferme dans ses convictions, sa foi et se montrer tolérant ne sont pas incompatibles. Comme cela est précisé précédemment, nos convictions nous concernent, nous, et notre position quant à la vérité. La tolérance intervient dans la relation avec notre prochain.
 
 
Marie-Christine Fave