L’ échec : premier pas vers la réussite ?1

 chute

Par CLAUDE GRANDJEAN

 

 Grandjean

L’enfant qui apprend à marcher, avant de devenir un homme debout, doit faire l’amère expérience de la chute. Son apprentissage durera un certain temps et dans l’intervalle, il devra savoir se relever, accepter de se faire mal et persévérer, et ceci des dizaines, voire des centaines de fois.

 

 

 

 

Et si l’échec était le premier pas qui conduise à la réussite ? Il ne faudrait tout de même pas exagérer ! Rares sont ceux qui, avant de réussir, n’ont pas connu un ou plusieurs échecs. Il n’y a pas de fatalité à l’échec. L’échec serait-il une malédiction et, par voie de conséquence, seule la réussite serait-elle le sceau de la bénédiction ? Certains le pensent, il convient de ne pas généraliser.

 

    Le « looser » – le perdant, « le raté » – comme on le surnomme aujourd’hui, c’est le lépreux des temps anciens. En Israël ce dernier était banni du camp, loin du sanctuaire et de toute la société ; il devait porter des vêtements déchirés et avertir de loin ceux qu’il pouvait croiser en criant : « Impur, impur ! » Il était tenu pour mort au regard de la société2.

 

    Ce n’est plus l’habit qui fait le moine, c’est son CV (curriculum vitae) qui l’éloigne du marché de l’emploi. Son embauche pourrait être contagieuse et ses échecs devenir une malédiction pour ceux qui se seraient aventurés à lui laisser une chance. Alors le candidat embellit, détourne, oublie. Malheureusement pour lui, ce procédé ne résiste pas à un entretien d’embauche bien mené. Dans un récent article paru dans le journal Le Point3, le journaliste compare la situation en France et aux É.-U. dans la Silicon Valley, ce qui le conduit à écrire : « En France on a une aversion pour l’échec. Si vous créez une boîte et que vous échouez, dans la Vallée, c’est sur votre CV, en France, c’est une année sabbatique. » On y gagne rarement à mentir. Si toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, on y gagnera toujours à dire la vérité.

 

    Et si les choses n’étaient pas aussi simples et qu’en partie cela tenait à des questions de culture et d’appréciation ?

    Les missionnaires ont, parfois, dans le passé, commis l’erreur de vouloir transposer leur culture aux peuples qu’ils venaient évangéliser, comme si c’était le seul modèle, unique, valable pour tous. Ils ont, à juste titre, été largement critiqués et blâmés. Pensant bien faire, ils se sont fourvoyés, et nous sommes les premiers à le reconnaître. Alors, pourquoi vouloir le reproduire dans notre contexte et faire de la performance à tout prix un dictat, et de la réussite une norme de reconnaissance, nouveau catéchisme d’une société où l’arrogance des élites minoritaires piétine les efforts et les engagements de ceux qui ne leur ressemblent pas.

 

    « Le succès est aussi difficile à supporter que l’échec. Il faut apprendre à gérer l’un comme l’autre. » C’est le témoignage de l’acteur Roland Giraud dans un ouvrage très personnel dans lequel il livre sa vision de la vie4. « Les succès ne durent jamais longtemps, ni les échecs ; ils se traînent tous deux comme des boulets qui ne disent pas toujours leur nom. » L’ancien Premier ministre et actuel ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a un jour déclaré : « En France, il y a deux choses que l’on ne pardonne pas : l’échec et le succès. »

 

    L’un comme l’autre impose à celui qui le vit de rester lucide et conscient de sa situation. Paradoxalement il est peut-être plus difficile de gérer le succès que l’échec. Avec l’échec, on apprend à compter ses vrais amis, ceux avec qui on peut partager, ceux sur qui on peut s’appuyer. « Avec le succès, je cite Roland Giraud, on entre dans une énorme foire aux tentations, et beaucoup de gens surgissent autour de vous, tels des papillons de nuit dès qu’on allume une lampe dans les ténèbres. Ces “nouveaux” amis deviennent autant de tentateurs perfides, de pièges faciles. »

 

 

Échec ou Erreur

 

    Dans la préface de l’ouvrage de Julien Cusin, Faut-il échouer pour réussir ?5, Jean-Bernard Lévy6 établit un distinguo judicieux entre échec et erreur. Il écrit : « Si l’échec ne s’explique pas toujours par une ou des erreurs, l’erreur relève en revanche de l’ordre rationnel. L’erreur n’est pas un échec de moindre gravité, il s’agit d’un dysfonctionnement, que l’entreprise (ou toute autre forme d’organisation) doit savoir corriger. » « Erreur et échec entretiennent toutefois une relation paradoxale. Il arrive qu’on échoue malgré des choix irréprochables, comme on peut parfois réussir en accumulant les erreurs. » « Corriger une erreur pour qu’elle ne se reproduise pas est relativement simple… Comprendre un échec et en tirer d’éventuelles leçons est en revanche plus délicat. »

 

    Si en effet nous avons les moyens de corriger une erreur, assumer un échec relève d’une tout autre mécanique. Les causes, comme l’écrit Jean-Bernard Lévy, « sont souvent incorporelles, improbables, voire inaccessibles au raisonnement ». « La frontière est ténue entre l’échec et le succès, un rien les sépare. » Et « si, contrairement à l’erreur, l’échec n’enrichit pas les structures, bien assumé, il peut en revanche fortifier les hommes. C’est à ce titre qu’il mérite un intérêt. » Puis de poursuivre : « Il est dans l’ordre des choses que celui qui échoue s’éloigne. L’opprobre se justifie d’autant moins que le hasard transforme parfois un échec potentiel en succès, et réciproquement. » Pour finir, il convient de se poser les questions : « Faut-il échouer pour réussir ? À l’évidence non. Peut-on réussir après un échec ? Bien sûr, et il faut encourager cette prise de risque qui est le fondement même de l’entreprise. »

 

    Durant les sept décennies qui m’ont été données jusqu’à ce jour, dans mon parcours personnel, professionnel et dans mes engagements bénévoles, j’ai commis des erreurs, connu des échecs, mais j’ai eu aussi de « belles réussites ». Avec l’âge j’ai perdu certaines de mes illusions, mais j’ai commencé à tirer quelques enseignements de mes expériences. La difficulté fut de les mettre en application pour moi-même avant de les conseiller aux autres.

 

    Ça ne sert à rien de se lamenter, de s’apitoyer sur son sort et d’en vouloir à la terre entière. Il nous faut aussi assumer nos responsabilités. La vie est une aventure et un combat qui ne sont pas faits que de victoires, il ne faut simplement jamais abandonner. Dans son ouvrage, L’aventure de la vie7, le Dr Paul Tournier écrit : « Nous ne pouvons évidemment nous engager dans aucune aventure sans courir le risque d’y échouer, mais c’est aussi ce qui lui confère sa saveur… la joie de l’aventure est une anticipation de la joie du succès. On ne poursuit l’aventure avec joie et efficacité qu’aussi longtemps qu’on en escompte la réussite… ou tout au moins qu’on n’en a pas tout à fait perdu l’espoir. »

 

    Il ne faut donc pas baisser les bras, ne pas se résigner, ne pas s’avouer vaincu, il faut rebondir et repartir. Si toutefois vous ne vous sentiez pas immédiatement concerné, n’ayant jamais connu d’échec, c’est peut-être parce que vous n’avez jamais vraiment entrepris.

 

« Le succès représente 1 % de votre travail, les 99 % restants sont ce que l’on peut appeler des échecs. »

SOICHIRO HONDA Fondateur de Honda Motor Company 

 

 

 

 

 

C.G.


NOTES

 

1. Extrait de l’avant-propos d’un livre à paraître au printemps 2015 aux Éditions Farel

 

2. NCB, Éditions Emmaüs

 

3. Le Point du 15.09.2014, article de Idriss J.Aberkane.

 

4. En toute liberté, en collaboration avec Éric Denimal, Éditions Le Passeur

 

5. Éditions du Palio, 2008

 

6. Ancien président du Directoire de Vivendi, aujourd’hui PDG de Thalès

 

7. Delachaux & Niestlé, 1963