Racines et règne du péché

 

serpent

 

 

Par Marcel Reutenauer

 

reutenauer

 

 

 

Des premières pages à la dernière, la Bible relate l’irruption du péché dans la création parfaite (Gn 1.31) et de son règne jusqu’à son anéantissement : la rédemption, par la mort de Jésus-Christ à la croix, de l’homme créé à l’image de Dieu, sur une nouvelle terre et sous de nouveaux cieux (2 P 3.13).

 

 

 

 

 

 

L’irruption du péché dans le monde

 

C’est le diable1, le tentateur, qui, sous la forme d’un serpent, s’approche d’Ève, et la séduit par sa ruse (2 Co 11.3). La manière dont le serpent entraine Ève – et Adam, qui était avec elle (Gn 3.6), – dans la transgression de l’ordre de Dieu peut se décomposer en plusieurs étapes qui ressortent du texte de Gn 3.1-6 (version Semeur) :

1. Le Serpent était le plus tortueux de tous les animaux des champs que l’Éternel Dieu avait faits. Il demanda à la femme : Vraiment, Dieu vous a dit : « Ne mangez du fruit d’aucun des arbres du jardin ! » ?

2. La femme répondit au Serpent : Nous mangeons des fruits des arbres du jardin,

3. excepté du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin. Dieu a dit de ne pas en manger et de ne pas y toucher sinon nous mourrons.

4. Alors le Serpent dit à la femme : – Mais pas du tout ! Vous ne mourrez pas !

5. Seulement Dieu sait bien que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieu, choisissant vous-mêmes entre le bien et le mal.

6. Alors la femme vit que le fruit de l’arbre était bon à manger, agréable aux yeux, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence. Elle prit donc de son fruit et en mangea. Elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea.

 

En engageant la conversation, le serpent feint l’ignorance et énonce, de manière erronée, l’ordre de Dieu selon lequel Adam et Ève auraient interdiction totale de manger les fruits des arbres du jardin. Cela amène Ève à préciser l’ordre exact donné par Dieu (Gn 2.16). Ainsi est amorcé un dialogue où le serpent fait l’ignorant et feint de donner à Ève le beau rôle de celle qui sait : c’est l’amorce du piège. Immédiatement, le serpent prend le rôle de celui qui en sait plus et affirme connaitre la raison secrète de l’interdit à propos de l’arbre du choix entre le bien et le mal. Son mensonge met en doute la bonté de Dieu, nie la réalité des conséquences d’une désobéissance et fait miroiter la capacité d’être autonome pour choisir entre le bien et le mal. Ainsi les motifs de l’obéissance sont ternis et la justification de la transgression est sublimée.

 

L’appât ne demande plus qu’à être saisi ! Sans que le texte le mentionne, Ève a acquiescé intérieurement à la thèse du diable et s’est affranchie de la relation avec Dieu. Animée par trois convoitises2 : de la chair (le fruit est bon à manger), de la vue (agréable aux yeux), de l’orgueil (précieux pour ouvrir l’intelligence), elle succombe à la tentation, prend un fruit et en mange. Elle en donne ensuite à Adam qui en mange aussi. Le péché, avec les conséquences qui vont s’en suivre, est entré dans la création !

 

 

Le règne du péché

 

Bien que le tentateur ait agi par ruse et en dissimulant ses desseins – lui qui se déguise même en ange de lumière (2 Co 11.14) – Adam et Ève portent la responsabilité pleine et entière de la transgression. La Bible n’accuse pas formellement l’un plus que l’autre. C’est d’Adam qu’il est dit : Par un seul homme, le péché est entré dans le monde et par le péché, la mort (Rm 5.12), et à propos d’Ève : ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, s’est rendue coupable de transgression (1 Tm 2.14).

 

Les trois protagonistes de l’évènement subissent chacun une sentence individuelle. Mais déjà, à l’adresse de l’auteur caché sous l’identité du serpent, Dieu annonce le dénouement futur : Je susciterai l’hostilité entre toi-même et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci t’écrasera la tête, et toi, tu lui écraseras le talon (Gn 3.15).

 

Une autre conséquence de la transgression est l’expulsion du jardin d’Eden et l’impossibilité d’accéder à l’arbre de la vie (Gn 3.22-24). Cela illustre, par analogie, que la relation avec Dieu est rompue et qu’Adam et Ève vivent désormais sous l’emprise de Satan par lequel le monde entier est sous la puissance du mal (1 Jn 5.19) bien que son règne soit usurpé. Cet état d’esclavage du mal (Rm 6.14, 20 21) ne se terminera qu’avec l’affranchissement rendu possible par Jésus-Christ à la croix.

 

L’humanité entière a été, à la suite d’Adam, héritière de la nature pécheresse (Rm 5.12s), entachée du péché originel. Mais, et nous citons Henri Blocher, « Il importe que le péché ne soit pas de la nature au sens strict : car s’il l’était, on ne voit pas comment l’homme pourrait encourir un reproche. La doctrine du péché originel joue ici le rôle clé : la quasinature mauvaise ne procède pas de la création3, c’est l’effet du mauvais usage que l’homme a fait de sa liberté créée. L’alliage de corruption et de culpabilité avec lequel naissent tous les enfants d’Adam et Ève reste rattaché à la liberté – du fait de la solidarité organique de la race, du fait du rôle de Chef et de représentant dévolu à Adam pour tous ceux qui naissent “en Adam”. »4

 

Ainsi, avant que la Loi de Dieu ne soit énoncée, les hommes faisaient le mal, mais leurs actes mauvais ne leur étaient pas imputés comme tels (Rm 4.15b ; 5.13 ; 1 Jn 3.4), par contre ils périront sans qu’elle intervienne dans leur jugement (Rm 2.12) selon l’avertissement adressé à Adam par Dieu (Gn 2.16 17). « Cependant, la mort ne s’accorda aucune relâche au cours de l’époque où la loi n’existait pas. À la seule exception d’Énoch, la mort exerça sa domination sur toute l’humanité. On ne pouvait dire que ces personnes mouraient pour avoir transgressé un commandement clair de Dieu, comme le fit Adam. Pourquoi alors mouraient-elles ? La réponse implicite est : parce qu’elles avaient péché en Adam. Si cela semble injuste, rappelons-nous qu’il n’est pas question ici du salut. Tous ceux qui mettaient leur foi dans le Seigneur étaient sauvés pour l’éternité. Cependant ils mouraient physiquement comme les autres parce qu’ils avaient péché en Adam. Dans son rôle de chef de l’humanité, Adam fut un type (ou symbole). »5

 

 

Réalités actuelles du péché

 

Par Adam et Ève, la tendance innée au péché est entrée dans la race humaine et les êtres humains sont devenus des pécheurs par nature. […] Les humains sont pécheurs non parce qu’ils ont commis des péchés, mais ils pèchent parce qu’ils sont pécheurs6, comme l’arbre produit son fruit (Mt 12.33).

 

Nous avons tendance à vouloir dresser une liste des péchés, et même à les classer selon un degré de gravité. Mais Jésus, dans son enseignement, avertit très solennellement que la colère et l’insulte sont semblables au meurtre, que le regard chargé de désir est semblable à l’adultère (Mt 5.21-22 ; 27-28). L’apôtre Paul, de même, écrit : Ne vous y trompez pas : il n’y aura point de part dans l’héritage de ce royaume pour les débauchés, les idolâtres, les adultères, les pervers ou les homosexuels, ni pour les voleurs, les avares, pas plus que pour les ivrognes, les calomniateurs ou les malhonnêtes. (1 Co 6.9b 10)

 

Si le péché est en général un acte objectif aux conséquences mauvaises, la Bible condamne aussi celui qui sait faire le bien et ne le fait pas (Jc 4.17). David demande même le pardon pour les péchés dont il n’a pas conscience (Ps 19.13) !

 

Enfin, comme le mentionne Henri Blocher : Une situation ambiguë apparaît quand une personne s’estime à tort concernée, alors qu’elle ne l’est pas dans l’intention divine : c’était le cas des « frères faibles » qui se sentaient toujours obligés par les règles alimentaires abolies (Rm 14 ; 1 Co 8, 10.23-33) ; il y a péché si quelqu’un agit contre sa conscience, sa conduite ne procédant pas de sa foi, et bien que la chose soit, en elle-même, permise (Rm 14.14b, 23 ; 1 Co 8.7, 13) ; en désobéissant à ce qu’il croit volonté de Dieu, il met en cause l’autorité formelle, sur lui, du Seigneur. En revanche, si quelqu’un croit sincèrement permis ce que Dieu défend, son péché, pour être inconscient, n’est pas moins réel (Ps 19.13 ; 1 Co 4.3s ; déjà Gn 20.5, 6, 9)7.

 

 

Le péché vaincu

 

epines 2Si la Bible parle si souvent du péché, c’est que « son message central, l’annonce de Jésus-Christ et de son oeuvre, se définit par rapport à cette réalité négative ; l’ange explique le nom même de Jésus en disant : Car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés 8.

 

« Dans la mesure, indéniable, où le péché défigure la créature d’élection, faite en image du Créateur, et assure la domination de l’Adversaire (de Dieu avant d’être celui des hommes), il représente une défaite du Seigneur. Mais il ne s’est agi que d’une “première manche”. À la suite du péché a lieu la riposte de la Rédemption. Est-ce une “suite” ? Il est excessif de chanter, avec la liturgie romaine : “Bienheureuse faute, qui nous a valu un tel Rédempteur” – c’est l’amour de Dieu qui nous l’a valu, et le péché n’en a été que l’occasion négative !9 Mais la séquence appartient bien à la sagesse insondable du Seigneur (Rm 11.32ss), et la doctrine biblique du péché se conclut par la proclamation du péché vaincu, pour tous ceux qui, pécheurs “en Adam”, passent par la foi “en Christ”. »10

 

M.R.


NOTES

 

1. Par manque de place il ne nous est pas possible de développer les aspects relatifs à l’origine et à la personne du diable. On consultera avec profit l’article Diable dans le Nouveau Dictionnaire Biblique, Éditions Emmaüs, 1992.

 

2. La Bible annotée, p. 113, note 6

 

3. Ndlr : L’Homme a été créé bon, sans péché.

 

4. H. Blocher, in Le Grand Dictionnaire de la Bible, article Péché, Éditions Excelsis, 2010

 

5. Commentaire de Rm 5.14 in W. Mac Donald, Commentaire du disciple de toute la Bible – Ancien et Nouveau Testament, Éditions La Joie de l’Éternel, 2014

 

6. http://www.gotquestions.org/Francais/definition-peche.html

 

7. H. Blocher, ibid

 

8. H. Blocher, ibid

 

9. C’est aussi minimiser le lot de souffrance que cela a coûté à Jésus-Christ.

 

10. H. Blocher, ibid