Place et devenir de l’enfant du divorce

 

dessin enfant

 

Par MONIQUE DE HADJETLACHÉ

MONIQUE DE HADJETLACHÉ

 

 

J’ai toute ma vie travaillé comme psychiatre psychanalyste, et c’est donc à partir de cette expérience, qui m’a amenée à accompagner et à écouter l’histoire de vie de nombreux enfants et adultes, que je parlerai. Je suis chrétienne, et ma foi a imprimé une marque indélébile sur ma pratique. En particulier, elle a ancré en moi la certitude que dans toute situation, même dramatique, il y a toujours du possible.

 

 

 

Le danger de la banalisation du divorce

 

Dans le passé, les enfants de parents séparés se sentaient à part. Aujourd’hui, c’est banal. Environ un quart des enfants ne vivent pas avec leurs deux parents. Ce n’est pas pour autant que la séparation ne pose aucun problème à l’enfant, même s’il le surmonte et si on peut l’aider à dépasser sa souffrance.

 

nounours enfantsDans des sujets passionnels comme celui-ci, il importe de ne pas noircir le tableau, mais il ne faut pas non plus banaliser. Freud a mis en relief que les traumatismes ne se manifestent pas forcément au moment de leur survenue. Ils sont souvent enkystés, refoulés… pour que la vie continue. Mais ils sont là, et resurgiront lorsqu’un autre évènement les réactivera.

 

D’ailleurs, ce n’est pas forcément la séparation qui est traumatique, car l’enfant qui vit dans des tensions perpétuelles est mis à mal. Parfois, cette souffrance est pire qu’une séparation bien préparée. Le plus perturbant pour l’enfant, c’est lorsque les problèmes du couple parental le mettent à une place qui ne devrait pas être la sienne, et lui font vivre des conflits de loyauté ou le coupent effectivement ou affectivement de l’une de ses lignées.

 

 

Quand l’enfant va mal

 

Il n’y a pas d’expression spécifique du mal-être d’un enfant suite à la séparation de ses parents. À court terme, on peut rencontrer des symptômes tels que troubles du sommeil ou de l’appétit, inhibition, dévalorisation, angoisse, baisse des résultats scolaires, ou diminution de la sociabilité. Ces signes manifestent une souffrance, mais ne disent pas sa nature. Les effets à long terme sont moins connus. Ils affectent partiellement, d’après une étude sociologique menée par l’INED1, trois registres : la réussite scolaire, l’entrée dans la vie professionnelle, les possibilités de vivre en couple de manière durable. J’ai souvenir d’une grande adolescente de 17 ans sanglotant dans mon bureau : « Ça n’existe pas, un couple qui dure ? » Elle venait d’apprendre que ses deux parents, séparés depuis quelques années, et ayant chacun refait leur couple, se séparaient tous à nouveau…

 

Il faut se garder de conclusions hâtives : ces effets sont très atténués lorsque l’enfant grandit ensuite dans une famille recomposée qui est socialement non précaire. En effet, la dissociation familiale est un facteur de précarité. Mais d’autres facteurs interviennent aussi, comme l’âge des enfants au moment de la séparation, leur nombre dans la fratrie, la situation plus ou moins conflictuelle avant et après la séparation, la dépression de l’un des parents, et l’existence ou non d’un réseau amical et familial élargi.

 

 

Surmonter l’effondrement des repères

 

Il faut bien le dire : la séparation des parents est pour l’enfant qui la vit un effondrement des repères qui étaient les siens. Boris Cyrulnik a bien mis l’accent sur les formidables capacités de résilience de l’être humain, en particulier des enfants. Oui, ils rebondissent le plus souvent, mais ils peuvent traverser des moments difficiles.

 

Comme parents, nous aimerions éviter à nos enfants de souffrir ; mais c’est impossible. Oser la vie avec ses joies et ses souffrances est le seul moyen de grandir, et de vivre vraiment. Dans le cas d’une séparation, les parents sont à l’origine de la souffrance, ce qui peut entraîner beaucoup de culpabilité. Mais la culpabilité est mauvaise conseillère, car elle empêche parfois de garder un bon positionnement parental.

 

 

Quelques pistes pratiques pour les parents séparés

 

Quand des parents se séparent, de quoi l’enfant a-t-il besoin ? Avant tout, il lui faut garder des repères structurants, être rassuré et rester à sa juste place d’enfant. Concrètement, cette affirmation entraîne plusieurs considérations :

 

  • Bien communiquer avec l’enfant Premièrement, il faut parler aux enfants des décisions qui sont prises concernant la séparation et ses modalités. La parole des parents doit être vraie et claire. Les non-dits entretiennent l’angoisse. Mais informer les enfants ne signifie pas tout leur dire, et encore moins les charger de choses qui ne sont pas de leur ressort. Les enfants n’ont pas à faire des choix qui les mettent en situation impossible : « Tu veux bien ceci ou cela ? » Non, il faut que les parents aient le courage d’assumer la responsabilité de leur choix. Parfois, c’est le choix d’un seul. L’autre subit. Dans ce cas, par amour, il faut que tout soit fait pour ne pas obliger l’enfant à prendre parti. L’enfant est le fruit de ses deux parents. Prendre parti, pour lui, c’est s’amputer d’une partie de lui-même.

 

Je me souviens d’un petit garçon de 8 ans, que j’appellerai Paul. Il avait des problèmes de lecture et d’écriture. Ses parents s’étaient séparés lorsqu’il était tout petit, et le nom de son père ne pouvait même pas être prononcé à la maison. Souvent, il me disait : « Il y a ma bonne et ma mauvaise main. Avec la mauvaise, je ne peux rien faire de bien ». Peu à peu, j’ai pu faire le lien avec son père, qui devait être bien mauvais, puisqu’on ne pouvait même pas en parler. J’ai pu aider la maman à faire la part de sa souffrance, et la part de ce qu’elle avait vécu de bien avec le père de son enfant. Elle a évoqué des souvenirs… J’ai pris contact avec le père. Il n’est pas venu, ayant déménagé très loin, mais le fait qu’il ait pris vie pour Paul a permis à celui-ci de retrouver l’usage des deux côtés de son corps. C’est parfois presque magique, la façon dont les choses se débloquent chez un enfant.

 

Parfois, la situation est si douloureuse que le parent ne se sent pas capable d’en dire quelque chose. Alors je conseille d’en parler avec réalisme : « Pour le moment, je ne peux pas, parce que c’est trop difficile. Mais plus tard, j’espère que je pourrai t’en parler ».

 

  • Maintenir une continuité dans la vie de l’enfant

Il est important de ne pas chercher à éviter la culpabilité parentale en devenant trop permissif, c’est-à-dire qu’il faut maintenir les mêmes règles et exigences. Ce n’est pas toujours facile. C’est pourtant très important et sécurisant… même si l’enfant va essayer de profiter de la situation.

 

  • S’ouvrir à de nouvelles possibilités
    Il importe de ne pas sacrifier sa vie de femme ou d’homme « pour son enfant »
    , en croyant qu’on lui ferait du tort si on introduit un nouveau conjoint dans la maison. Il n’y a pas lieu non plus de lui demander l’autorisation, comme je l’ai parfois vu faire. Ce n’est pas de son ressort. Il ne peut être qu’ambivalent ! Mais bien sûr, il faut que la rencontre se fasse avec tact : le nouvel arrivant et l’enfant doivent s’apprivoiser. Et il faut accepter les premières réactions de l’enfant, car pour lui, cela signe l’irrémédiable de la séparation parentale. À plus long terme, un lien solide se crée souvent si on lui a laissé le temps de se construire. Il est important aussi que le nouveau couple soit un peu pudique dans sa relation amoureuse, afin de ne pas être perturbant pour les enfants.

 

  • Veiller à maintenir l’enfant à sa place
    Un enfant doit rester à sa juste place d’enfant,
    sans ambiguïté « incestuelle ». Souvent, l’éclatement du couple entraîne un mal-être des adultes, une solitude pesante. Il est fréquent, surtout s’il n’y a pas recomposition familiale et que l’enfant est unique, que ce dernier soit mis en situation de petit homme ou petite femme de la maison. Ce n’est pas sa place. J’ai souvent vu un père ou une mère prendre son enfant dans son lit en arguant des cauchemars de l’enfant, alors qu’en réalité, c’est du réconfort du parent qu’il s’agit.

 

  • Ne pas instrumentaliser l’enfant Finalement, il faut veiller à ne jamais utiliser l’enfant pour régler ses problèmes avec l’ex-conjoint. Il est important que les enfants se sentent le droit d’être bien chez chacun de leurs parents, et sache que les deux parents sont contents de cette situation. Il est primordial, pour que l’enfant garde ses repères, qu’il ait l’assurance qu’il pourra garder le lien avec ses deux parents, qu’on fera tout pour cela.

 

 

La famille, les amis et l’Église : des aides précieuses

 

Dans ces situations, rien n’est évident, et une aide est nécessaire pour les parents, pour l’enfant, ou pour les deux. De quels outils dispose un enfant pour dépasser la situation, et ne pas seulement refouler son ressenti ? Le jeu, le dessin et la parole sont importants et efficaces. Il ne faut pas obliger l’enfant à parler, mais lui proposer des lieux possibles pour cela.

 

Et puis, il faut ouvrir la famille, à la fois au plan spirituel, auprès de Dieu, et au plan humain. La famille élargie, les amis et l’Église sont d’une grande aide dans les moments douloureux, pour les adultes comme pour les petits. Et surtout, cette ouverture offre à l’enfant d’autres modèles, sur lesquels il pourra s’appuyer pour reconstruire une image du couple et de la famille qui est mise à mal par la séparation parentale.

 

M. de H.

 


NOTES

 

1. Paul Archambault, Les enfants de famille désunies en France – leurs trajectoires, leur devenir, Paris, INED, 2007