Poser un autre regard

 

 

Par Marie-Christine Fave

MC-FAVE

 

 

 

Entre le faire et l’être, n’y aurait-il pas place pour le regard ? En situation de conflits, nous prêtons attention à nos actions et réactions (le faire) ainsi qu’à l’état et l’attitude de notre coeur (l’être). Sans enlever la légitimité et le bien-fondé de ces préoccupations, on peut se demander comment le regard qu’on porte sur l’autre impacte notre comportement et nos pensées.

 

 

 

L’autre, un ennemi ?

 

Heureusement, peu d’entre nous des ennemis. Nous pouvons parfois rencontrer des difficultés avec des personnes, subir des torts. Cependant, qualifier quelqu’un d’ennemi, c’est passer à un degré très fort. Lors d’une introduction d’un cantique de David, l’auteur fait une distinction : quand l’Éternel l’eut délivré de la main de tous ses ennemis et de la main de Saül (2 S 22.1). Saül n’est pas considéré comme un ennemi même s’il a voulu se débarrasser de David.

 

 

Le regard de Jonas

 

Dans 2 Rois 14 (v.25), Jonas est présenté comme prophète et serviteur de l’Éternel. Il avait annoncé une extension du Royaume du Nord sous Jéroboam II (-793 à -752). Cette fois-ci, la mission du prophète se complique : aller prêcher à Ninive. Jonas comprend bien que crier contre Ninive et sa méchanceté1, c’est l’avertir du jugement de Dieu et lui permettre ainsi d’y échapper en cas de repentance.

 

« Opération Ninive » : Jonas refuse d’en faire partie. Il finira par remplir sa mission par obéissance à Dieu, mais sans que son coeur ait changé par rapport aux Ninivites. Son dialogue avec Dieu (Jon 4.2) montre bien qu’il ne voulait pas que Ninive soit épargnée. Pourtant à cette époque-là, Ninive n’est pas directement un ennemi d’Israël. C’est plutôt avec la Syrie qu’Israël avait eu affaire précédemment. Cependant la capacité militaire des Assyriens n’est probablement pas à négliger comme en témoignent des inscriptions sur un obélisque trouvé à Kalah au sud de Ninive. Salmanasar III, roi d’Assyrie déclare à propos d’Hazaël de Damas : « Je le combattis et lui infligeai une grande défaite… J’allai jusqu’au mont Hauran, détruisant, ravageant et brûlant de nombreuses villes, emportant un butin que nul homme ne pouvait compter ». Sur ce même obélisque, une inscription mentionne un tribut que Jéhu, roi d’Israël, est venu payer en personne à Salmanasar.

 

L’Assyrie… un voisin lointain mais avec une réputation de méchanceté, une certaine puissance militaire et des souvenirs difficiles. Peut-être Jonas voit-il en Ninive une menace potentielle dont il vaudrait mieux être débarrassé ? Les assyriens deviendront un réel ennemi quelques décennies plus tard lors du siège de Samarie.

 

roulotte

 

Le regard de Dieu

 

L’Éternel regarde du haut des cieux, Il voit tous les humains ; … Lui qui forme leur coeur à tous, qui est attentif à toutes leurs oeuvres (Ps 33.13 et 15). Plus de 120 000 êtres humains à Ninive ! Dieu s’intéresse à eux. Certes, il connaît leur méchanceté. Il ne ferme pas les yeux sur cette question. Il discerne leur degré de responsabilité (ils ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche). Leur envoyer Jonas revient à leur proposer de changer de comportement. Ainsi Dieu ne pose pas un regard qui les enferme dans ce qu’ils sont ou ont été mais qui ouvre la possibilité du changement.

Dieu a pitié de ces Ninivites. Ce regard de compassion, Dieu va essayer de l’expliquer avec pédagogie à Jonas.

 

 

Le regard final de Jonas

 

La souveraineté de Dieu revient tout au long du livre de Jonas. L’Éternel fit souffler un grand vent… L’Éternel fit intervenir un grand poisson… un ricin… un ver… un vent étouffant Dans ce récit, Dieu agit à certains moments et utilise ses interventions pour amener Jonas à changer d’avis et de perspective.

 

Dans les circonstances difficiles de nos vies, on peut aussi se demander ce que Dieu veut peut-être nous apprendre au travers des évènements qu’il permet. Avec le recul, c’est parfois plus facile.

croix-sommet

Lors d’une micromission en Roumanie, une jeune femme roumaine nous a rejoints et s’est ainsi retrouvée à participer à nos animations jeunesse dans un village gypsy. Elle m’a vite fait part de ses réticences par rapport aux gypsys. Ils sont assez mal aimés en Roumanie et en plus sa grand-mère n’osait pas quitter sa maison par peur qu’ils ne viennent squatter pendant son absence. « Comment as-tu vécu ces quelques jours ? » lui ai-je demandé à la fin du séjour. « Je n’ai pas vu des enfants gypsys. J’ai vu des enfants », m’a-t-elle répondu. Une transformation s’était produite dans son coeur. Au lieu de leur mettre une étiquette « squatteur », « méfiance », « ennemi », elle a vu des enfants avec des besoins matériels et spirituels.

 

Quant à Jonas, malgré la repentance des Ninivites, il ne change pas d’optique. L’irritation gagne son coeur jusqu’à prendre des proportions hors du raisonnable et du rationnel. Dieu reste patient. Le livre se termine avec le contraste entre la compassion de Dieu pour les habitants de Ninive (plus de 120 000) et celle de Jonas pour le ricin. On ne connaît pas la réaction finale de Jonas. Cette dernière explication va-t-elle l’aider à modifier son regard par rapport aux Ninivites ?

 

 

Quel regard ?

 

Dans une situation problématique, il ne s’agit pas de nier les difficultés. Elles sont à aborder avec l’objectif de trouver des solutions. Toutefois, notre regard sur l’autre n’est pas sans conséquences. Voir l’autre comme Dieu le voit : on n’y arrivera probablement pas. Et même poser sur l’autre un regard non enfermant et de compassion reste un challenge à vivre avec l’aide et la grâce de Dieu.


NOTES

 

1. Les mots en italiques sans précision de référence sont extraits du livre de Jonas